D'abord, c'est la mine défaite d'un instituteur, au portail de son école vierzonnaise. Il accueille élèves et parents qui, ce matin, prolongent l'accompagnement jusqu'au seuil ultime. Plus, ce serait la classe. L'instituteur en a vu d'autres, bien sûr. Charlie en janvier. Mais là, il ne sait pas, du moins, il sait trop que les prochains mots seront compliqués. Que les usages pédagogiques n'ont finalement pas prise sur l'horreur de tels faits. Que lui diront ses élèves ? Qu'ont-ils retenu entre les mailles des images, des informations, parcellaires ou totales ? Que dire surtout, quels mots, quelles expressions, quelle compréhension, quelles formes à donner à cette abstraction de la mort de masse, nous qui, adultes, déjà, parvenons difficilement à mettre sur le nombre de victimes, une rationalité humaine.
Ensuite, dans le train. Un homme monte avec une énorme valise. S'assoit. S'agite. Puis il filme par la fenêtre du train, en parlant à voix haute : "bonjour, je ne suis pas allé travailler aujourd'hui, je vais à Bourges". La suite, à voix haute toujours, est une langue étrangère. Il se lève. Et filme le train. Debout, dans l'allée, il empêche un jeune homme de passer, valise à la main. Le jeune homme s'amuse de la situation loufique de ce lundi matin. Curieusement, c'est vrai, en d'autres temps, cette scène aurait été loufoque. Mais elle devient pesante. Pesante car suspecte. Suspecte depuis vendredi soir. Comme quoi, la peur a pénétré nos fibres, la crainte a traversé nos couches les plus imperméables. L'homme s'assoit. Et s'endort. A Bourges, tout le monde descend. Il dort encore.
Enfin, dans le train, le jeune homme à la valise se pose sur une banquette. Il va en cours, c'est sûr. Il a le droit de vote, c'est encore plus sûr. D'ailleurs, il va voter aux prochaines élections. C'est ce qu'il dit, au téléphone. Avant, il parle des frappes de la France en Syrie. On dirait un jeu vidéo. Puis la phrase claque dans l'air du train : "pour moi, aux prochaines élections, ce sera Marine le Pen". Comme si la jeunesse de ce pays pensait pouvoir se protéger derrière le paravent du Front national et que, dès lors, les autres partis, sont out.
Lundi matin. 16 novembre. A l'aube d'une nouvelle semaine. Trois faits successifs montrent que ce lundi est d'une autre dimension.