Surtout, soyez d'accord ! De toute façon, qui a vraiment le choix de ne pas l'être ? Ne pas soutenir la grève des cheminots et des fonctionnaires en général, c'est être antisocial, pro-macroniste, de droite, d'extrême-droite, anti-cheminots, anti-ouvriers en général, anti-fonctionnaires, anti-gauche, pro-riches, pro-Cac 40, on en passe et des meilleurs. Ne pas être d'accord, ou du moins, osez un zest de protestation parce que demain et après-demain et pendant trois mois, une incertitude planera sur le fait de pouvoir prendre ou non un train pour aller travailler ou simplement se déplacer, c'est désormais interdit. Ne pas être d'accord un peu, c'est être contre à 100%. Vous êtes ou l'ami du peuple ou son ennemi juré, mais il n'y a aucune place pour le doute.
Le doute, c'est faire pencher la balance du côté du patronat, des actionnaires, du CAC 40, des dividendes. S'intéresser à la façon de savoir, comment on pourra se rendre à son boulot, c'est être égoïste, c'est ne pas être solidaire de la cause des faibles et des plus pauvres, des précaires et des victimes du capitalisme. Pour sa propre santé, il est donc préférable d'être d'accord, de dire un grand Oui à l'absence de trains deux jours sur cinq pendant trois mois, d'être solidaire comme la peau puisse l'être de l'os, ne pas laisser ne serait-ce qu'un grain de sable s'immiscer entre la grande cause des uns et la prétendue galère que vivront les autres. Après tout, ils n'ont qu'à faire grève aussi et gueuler fort.
Entamer un débat, oser une phrase hostile, une phrase de ras-le-bol, c'est être d'office, considéré comme un renégat. Durant trois mois, il est conseillé de ne pas penser par soi-même mais de siroter le cocktail syndical que l'on nous servira, le boire jusqu'à la dernière goutte et en redemander. Tout le reste n'est que mensonge et manipulation. Tenter une explication, c'est forcément accréditer l'idée que tous les fonctionnaires sont des nantis, les cheminots des privilégiés, et les retraités des profiteurs d'actifs. Certains auraient le droit de défendre leurs acquis, ce qui est légitime, d'en demander plus, ce qui est humain, pendant que d'autres, qui esquissent une plainte sur les difficultés de leur propre quotidien qu'une grève ne va pas arranger, n'ont pas d'autre choix, au lieu de râler, que de se joindre, à la grande ronde générale, de se mettre en rang et d'écouter les consignes.
Douter du bien-fondé d'une grève aussi longue, c'est forcément approuver les mesures de ce gouvernement dictatorial et de son assemblée croupion, en oubliant qu'en France, il y a toujours eu et une majorité et une minorité appelée l'opposition, et surtout que les deux se sont toujours livrés un combat politique, ce qui est l'essence de la démocratie. Aujourd'hui, une étrange atmosphère plane : sous prétexte qu'une catégorie d'actifs mène un combat, répétons-le légitime, toute opposition doit être expressément tuée dans l’œuf, jetée aux orties et leurs auteurs, cloués au piloris. Très bien : en agissant ainsi, les défenseurs d'un modèle social qui doit être défendu, agissent comme ceux qu'ils dénoncent en expliquant à ceux qui sont en désaccord : c'est comme ça et c'est tout. Sinon, fermez là.
