Il y a, d'un côté, la rue de la Société-Française, avec son Esplanade, ses verrières classées monument historique, son bowling, son cinéma, son musée, ses beaux trottoirs. Puis, il y a, de l'autre côté, la non-rue de la Société-Française, le négatif, le côté obscur, celle qui se jette rue Léo Mérigot pour filer à la gare ou à Villages. Celle qui dessert des rangées de logements locatifs
via des ruelles défoncées dont les nids-de-poule ne bénéficient même pas d'un éclairage public.
C'est dans ce territoire, entre l'ancien bâtiment des Assédic dont une partie est défoncé, l'autre fermé, des rangées de poubelles qui semblent avoir pris racines
et un ancien foyer pour personnes handicapées aux issues condamnées
que le blues est le plus sonore. Au 26 rue de la Société-Française surtout, la musique ressemble au désespoir. Celui d'un propriétaire parisien qui, il y a maintenant vingt ans, décide d'investir à Vierzon, dans l'achat d'un appartement.
Il cède aux sirènes d'un investissement pépère pour ses vieux jours, dans cette ville moyenne, avec la gare pas loin. Vingt ans plus tard, le rêve n'est pas aussi doré que la brochure le laissait entrevoir. Depuis quatre ans, son appartement est vide.
Impossible de trouver un locataire qui ose s'aventurer jusqu'à cet immeuble dont les apparts appartiennent à des petits propriétaires de Paris, Lyon, Tours...
Un gendarme qui lui aussi avait cru pouvoir investir pour ses enfants a vu sa vie ruinée, ici, à Vierzon. Pendant des années, le quartier a souffert d'une sulfureuse réputation : deal, prostitution, voisinage infréquentable...
La non-rue de la Société-Française n'aspire pourtant qu'à revenir dans la lumière. Le proprio parisien est rempli de bonne volonté. Il ne sait pas quoi faire pour prouver à ses futurs locataires que le coin est sécurisé, que ça ne craint plus.
Il envisage même de créer avec d'autres proprios, une association de quartier. Un autre propriétaire, vierzonnais celui-là, a racheté il y a deux ans, l'immeuble du fond, au 26 rue de la Société-Française.
Il a assaini son parc, investit pour que son immeuble soit "familial". Il a dû régler des conflits, taper du poing sur la table, boucher les trous qui servaient de niche à deal. C'est le prix d'une bonne réputation. Il a d'autres projets en tête, refaire la cour, sécuriser le portail...
Le propriétaire parisien, devenu fataliste, est prêt, lui aussi, à mettre du sien, mais seul, c'est compliqué. La plupart des autres proprios, réunis sous la bannière d'un syndic, ont le moral dans les chaussettes. Pourtant, cette partie de la rue de la Société-Française n'a pas à rougir. L'ancien foyer Bel Air va être transformé en logements sociaux, prochainement. A côté, un vaste terrain vague clôturé sommairement n'est pas du tout glamour. Il ferait même pitié. On parle, à cet endroit d'un projet immobilier.
Mais voilà. les voiries qui desservent les immeubles ne font pas partie du domaine public. La mairie aurait présenté un projet de rénovation de cette partie de la rue à un propriétaire sans y inclure les voiries privées. Certains propriétaires sont prêts à céder leurs parcelles si la mairie s'engage à les restaurer aussi. Ce ne serait pas le bout du monde. On construit bien des bowlings, des sièges sociaux à des entreprises du CAC 40 et bientôt une auberge de jeunesse, on peut bien mettre du bitume sur des voies défoncées...
Les proprios n'attendent que ça, de leur côté, pour faire leur possible. Mais main dans la main avec la mairie. Ils ne comprennent pas pourquoi on va refaire ce qui se voit et laisser en l'état ce qui ne se voit pas. Les propriétaires fonciers qui possèdent l'immeuble et les appartements ne sont pas, loin de là, de riches capitalistes. Rappelons qu'ils investissent à Vierzon, pas dans les grandes métropoles.
Le quartier a changé, martèlent ceux qui louent ou qui tente de louer leur biens. Pour résoudre le problème des poubelles qui traînent sur les trottoirs, pleines ou vides, c'est simple : il suffit d'identifier les poubelles aux appartements, marquer les adresses, c'est si simple qu'on se demande pourquoi on n'y a pas pensé plus tôt.
Les propriétaires font ce qu'ils peuvent : informations aux locataires des passage des poubelles et des encombrants. Ils sont même prêts à prévoir un local poubelles, et stocker les encombrants. Certains locataires n'ont pas de voitures pour aller jusqu'aux déchetteries.
De leur côté, ce n'est pas la bonne volonté qui manque. Mais ils ont besoin d'être aidés. A plusieurs, ils sont plus forts. Ils attendent un coup de pouce, ils attendent surtout qu'on ne parle de cette partie de la rue de la Société-Française en mal. Les choses ont changé. Il reste encore du travail, mais ce qui est incompréhensible, c'est qu'il y ait des appartements vacants alors que certains en cherchent à Vierzon. C'est une dame qui promène son chien, c'est un jeune couple avec des enfants, c'est un monsieur dans une voiturette.
Entre la rue de la Société-Française et la non-rue de la Société-Française, il y a un fossé invisible qui doit être comblé. De la lumière, de la propreté, des voiries lisses, éloigner ce sentiment d'abandon. Au milieu de tout ça, se dresse une résidence dont le parking à l'arrière, donne sur un arbre majestueux qui n'a rien de dangereux.
Les propriétaires sont remplis, à la fois d'espoir, et de crainte. Depuis Paris, l'appartement vierzonnais qui devait booster un peu les finances s'est transformé en poids. Le prêt est remboursé mais, sans locataires, l'argent ne rentre pas. Dans l'immeuble, ils se serrent les coudes. Mais cela ne suffit pas. Un peu de considération ne ferait pas de mal. Ils ont voulu voir Vierzon... Ils l'on vu.