Maternité, le désert ou la vie
Les habitants du département du Cher luttent pour ne pas être happé par le " désert français ". Les futures mamans du secteur le savent, la prise en charge médicale va se compliquer. En effet...
https://www.france.tv/documentaires/societe/1058763-maternite-le-desert-ou-la-vie.html
Quand, au printemps 2018, l’agence régionale de santé (ARS) a mis la maternité de Vierzon sur la sellette, et qu’a surgi le spectre d’une transformation en maison de naissance, tout un bassin de population a compris qu’il n’avait plus rien à faire là. Que la vie dans le coin n’aurait bientôt plus de commencement, seulement un écoulement lent vers sa fin. Une perspective insupportable, violente, à laquelle chacun était censé se résigner : après tout, les maternités de Pithiviers, de Châteaudun ou de Le Blanc n’avaient pas connu d’autre sort.
Mais en juin, sous la houlette de Maryvonne Roux, aide-soignante et déléguée syndicale, une grève a commencé. « On s’était lancés pour une semaine, se souvient-elle. Le lundi soir, on était déjà sur les rotules. On se disait : “Ça va être long.” Cent quarante-cinq jours plus tard, on y était encore. » La mobilisation a tenu, parce que tout le monde s’y est mis. Un jour, les Vierzonnais se sont donné la main autour des bâtiments pour manifester leur attachement à leur offre de soin. Une autre fois, ils sont venus accrocher des poupons sur les grilles de l’établissement : 500 faux bébés, pour 500 vraies naissances annuelles. « Ça a marqué les gens », se souvient Maryvonne, les yeux pleins d’étoiles.
Le documentariste Richard Puech est arrivé avec sa caméra, persuadé qu’il raconterait en images une énième fermeture de maternité – 40% d’entre elles ont disparu en vingt ans. « Je lui ai dit qu’il pouvait aller ailleurs, parce qu’il n’aurait pas ce qu’il cherchait », sourit le maire, Nicolas Sansu. L’élu communiste fanfaronnait. Au fond, il n’en menait pas large. Maternité, le désert ou la vie, que diffuse France 3 ce jeudi à 23h05, raconte un combat qu’on aurait cru perdu d’avance, mais finalement gagné : « Des femmes accouchent toujours à Vierzon, et des Vierzonnais y naissent chaque jour », résume simplement Maryvonne, le sourire modeste.
Six mois d’action en cinquante-deux minutes
« C’est l’histoire d’un pays, le nôtre, où certains territoires sont moins égaux que d’autres. » Lorsque commence la projection en avant-première du documentaire (produit par Capa), lundi 9 septembre à Vierzon, l’attention est optimale. Environ deux cents personnes ont fait le déplacement jusqu’au cinéma flambant neuf de la ville pour regarder le résumé en cinquante-deux minutes de six mois d’action. Des applaudissements fusent lorsqu’elles découvrent comment le maire, aidé des édiles des alentours, avait tenté d’empêcher la responsable de l’ARS de quitter la salle tant qu’elle ne donnerait pas de date de réunion, et donc de décision claire. Les respirations s’arrêtent lorsque surviennent des naissances, menées à bien grâce à la patience et à la douceur de sages-femmes attentionnées.
Dedans comme dehors, au sein du « camp gaulois » installé sur le parking – l’épicentre de la lutte, avec ses poules et ses lapins, ses victuailles et ses tentes –, chacun faisait ce qu’il avait à faire pour trouver (ou garder) sa place. À la fin de la projection, certains spectateurs regrettaient d’ailleurs de n’avoir pas vu encore plus, encore mieux, « la mobilisation de la population globale ». « Quand on avait un coup de mou, il y avait toujours quelqu’un qui passait pour nous dire que c’était important, qu’il fallait continuer, se remémorait justement Maryvonne Roux quelques minutes avant le début du film. Alors ça repartait. »
Pendant la projection, l’aide-soignante n’a pas pu retenir ses larmes. À Vierzon, l’union a fait la force, et pour elle comme pour beaucoup de gens dans la salle, en détenir la preuve en images avait quelque chose de réconfortant. Une mobilisation plus gilet jaune que rose layette : quelques jours après que la menace de fermeture a été levée et que le campement a été démonté, les premiers ronds-points français étaient occupés. « Notre combat avait été relayé partout, dans plein de médias ; il a, en quelque sorte, été précurseur, revendique la jolie quinquagénaire avec fierté. En tout cas, on aime à le croire. »
Elle est en première ligne pour savoir qu’il n’est pas près de s’achever. Car dans le Cher, on a du mal à attirer, et garder, le personnel soignant. Deux gynécologues ont été recrutés en Argentine, mais leur présence (provisoire ?) ne suffira pas. À deux cents kilomètres de Paris, au centre de la France, la vie continue donc, mais comme un feu fragile : pour le garder vif, il faut continuer de souffler dessus.