185 pages. Deux heures trente de lecture. On ne peut pas nier le talent d'écriture de Jean-Luc Mélenchon, ni sa culture qui, à ses dires, trop pointue, lui aurait été défavorable au moment où il crie "Ma personne est sacrée", "La République c'est moi", deux références historiques qu'il développe pages 88 , 89 et 90. "La vérité est encore une fois trop sophistiquée pour mes agresseurs." Son livre, sorti ce jeudi, "Et ainsi de suite", avec pour sous-titre "un procès politique en France", se présente sous la forme d'un journal écrit à la toute fin juillet et tout le mois d'août. On se balade, avec le tribun insoumis, sur un style fluide. Le livre, on le sait, coïncide avec l'ouverture, ce jeudi, de son procès en correctionnel avec d'autres Insoumis pour ce qui s'est passé lors d'une perquisition dont on connaît jusqu'à l'intimité.
Si vous vous êtes absenté de France depuis plusieurs années, que vous n'ayez jamais pris des nouvelles de l'Hexagone et qu'en rentrant, vous n'avez pour seule lecture que le livre de Jean-Luc Mélenchon, vous vous dites que 1984 est une bluette... On exagère bien sûr mais l'exagération est un trait caractéristique de cette lecture. On a bien compris que le livre doit servir d'avocat, l'avantage c'est qu'il rapporte plus qu'il ne coûte. Il dresse surtout, au fil de la plume éruptive de l'Insoumis en chef, le portrait d'un pays qui lui en veut, qui dresse sa police et sa justice contre lui avec la complicité des "médias moulins à paroles du pouvoir".../... "au point de faire ressembler notre pays au pire de ce qui se passe ailleurs en matière de dérive autoritaire."
Il faut s'attendre au pire : "le procès politique des Insoumis en France est un cahier de brouillon, un essai, un prototype." Encore pire : "la guerre contre les militants politiques insoumis est menée au clairon." D'ailleurs, il l'affirme : "je ne dois pas accepter de me faire couper la gorge dans le vacarme confus de l'information spectacle qui va prévaloir." Les expressions sont aiguisées : "pilori médiatique", "violence judiciaire", "parlementaires d'opposition réprimés en raison d'une action politique collective". Les médias dans la nasse : "un contexte où la brutalité et la violence judiciaires se sont banalisées au point que les médias favorables au pouvoir puissent ensuite s'en réclamer pour nier la gravité du moment."
L'Insoumis principal parle aussi de "rafle", au cours d'une digression sur une manifestation à Bure en juin 2018. Mais tout de même, certains gardent raison à ses yeux : "à cette heure tout ce qui reste d'indépendance de la justice est concentré dans la conscience des juges du siège qui se cramponnent à l'application de la loi". D'autres mots s'étiolent au fil des pages : "intimider, "meurtrir" dit Jean-Luc Mélenchon, "pour une opération de police politique sans précédent dans les annales de la Vè République.". Et pourquoi ? "depuis que des procureurs ont décidé de consacrer une part de leur activité à détruire ma réputation". On en revient au discours, "la haine de caste". Mais qui la décrète ?
On en revient aussi aux déclarations "Ma personne est sacrée", "La République c'est moi", références historiques. "J'ai oublié leur niveau d'inculture en dépit de leurs grades", écrit le député. Il y a des pages agréables à lire, instructives, de l'humour un peu, des pages d'histoire. Mais on sait pourquoi le livre a été écrit. Pour mettre police, justice, médias "Les putes à clic", dans le même sac sauf s'ils donnaient raison à l'auteur du livre... On est encore là. Toujours là. La France "une dérive autoritaire". La preuve : "pour les Insoumis et moi même, le secret de l'instruction n'existe pas." Qu'ils se rassurent, pas seulement. Mais voilà, il n'y a pas Mélenchon au pouvoir. Donc tout va mal.
"Evidemment, ce moment là, lit-on encore, le pays n'est pas encore entré dans la phase de répression brutale et disproportionnée qui a banalisé la violence policière et judiciaire et rendu évident son contenu politique." Nous avons versé dans une dictature, le mot n'est jamais écrit, évidemment, mais il transpire. "Le régime a aussi à diaboliser toutes ses oppositions les uns après les autres dans le même registre du dénigrement et de l'appel au mépris de classe. Qu'il s'agisse de bestialiser un leader d'opposition ou de stigmatiser "les gens qui ne sont rien" la forme la plus moisie de la vieille réaction a trouvé un porte-voix et un visage qui lui fournit le prétexte des apparences juvéniles et entreprenantes."
A la fin du livre, comme si nous n'avions pas compris ce qu'était la France, "le maintien de l'ordre idéologique est assuré. Il s'ancre comme dans tous les régimes de tempérament autoritaire sur un étroit couplage de viol des libertés individuelles avec la volonté d'imposer par la propagande et la répression la plus implacable une pensée unique hégémonique". Certains auront sûrement le sentiment d'habiter le même pays que Jean-Luc Mélenchon, victime d'une machination politique dans un pays où l'on peut lire, dès sa parution, le livre dans lequel il critique le pouvoir médiatique, policier, judiciaire. Ce n'est bien évidemment pas un gage de liberté d'expression dans un pays aussi verrouillé. Sans doute un complot médiatico-politico-judiciaire.