Dans l’immense silence de mon petit bureau, je me suis mis à regarder mon nombril. Je me suis écouté et, d’ailleurs, je me suis écouté si fort que j’avais réussi à me convaincre de m’écouter toujours car mes paroles étaient si justes, mes paroles étaient si vraies, qu’il aurait été dommage, vraiment, que je ne les écoute pas.
Dans l’immense bureau de mon petit silence, mon nombril s’est mis à me regarder. J’avais alors un œil au milieu du ventre qui me pénétrait au fond des yeux. Et je m’écoutais toujours parler car mon discours était si juste, mon discours était si vrai que j’aurais eu tort de ne pas me donner entièrement raison. Il emplissait la moindre parcelle de silence qui s’inclinait ainsi devant la majesté d’une vérité établie pour moi seul.
Dans l’immense nombril de mon silence, j’ai regardé mon bureau. J’étais si imprégné par ma narration que je buvais chacune de mes certitudes. Du même coup, elles me permettaient de balayer tout ce dont je n’étais pas sûr. Je m’apprenais par cœur pour me réciter plus tard, pour me répéter à jamais mes mots si justes, mes mots si bien assemblés les uns aux autres que l’harmonie n’existait pas en dehors de mes phrases.
Dans le petit silence de mon nombril, seul dans mon bureau, je n’ai pas voulu me taire tant la justesse de mes propos avait pris possession de toute la fausseté de ce monde, dehors. C’était inéluctable. Depuis des années, je cherchais ailleurs, chez les autres, alors que je possédais tout au centre de moi.
Mon immense nombril me regardait toujours au fond des yeux. Mes yeux continuaient de fixer mon nombril qui m’a soudain englouti, dans un silence étonnamment petit. Désormais, je ne suis plus qu’un petit nombril dans l’immense silence de mon bureau. Un nombril qui attend, sans douter, de devenir le centre du monde.