C'est étonnant comme une rue peut vous contenir tout entier. On ne se rend pas compte à quel point, les lieux vous assimilent, vous prennent ce que vous fûtes pour ne jamais le restituer. Il y a dans cette rue, les premières vingt-et-une années de mon existence. Et si la maison appuyée contre le haut marronnier n'y est plus, c'est fou ce que la rue ressemble encore à la mienne, à la mienne je veux dire, à celle qu'enfant j'ai pu boire de ses défauts, de ses trottoirs, de ces maisons voisines dont les formes n'ont pas bougé.
J'y repasse souvent pour voir, si quelque part, il n'y aurait pas un gosse qui joue quelque part, un gosse à qui je demanderai s'il ne m'a pas vu, ici. Mais il n'y a personne, personne du moins que je reconnais. Cette rue n'est pas qu'une rue, elle est l'architecture de ce que je suis et, à chaque passage, j'y ressens une profonde émotion. Parfois, je m'y arrête, je ferme les yeux et j'entends les jours anciens qui chantent à mes oreilles.
La rue, le chemin, le passage... L'Abricot ne manque pas de moyens pour occuper l'espace. C'est d'abord la rue qui se jette dans la rue du Champanet. Plus loin, le passage de l'Abricot mène au petit chemin au bord du Cher. Plus loin encore, le chemin de l'Abricot était mon domaine, celui qui me menait au jardin de mon père, par la route ou par le bord du Cher, au choix. Une belle façon d'écarter l'ennui. Mais l'ennui n'avait pas sa place. Le quartier de l'Abricot était vaste, et le chemin débouche sur une petite passerelle qui elle-même, aboutit dans les coulisses du stade du Cajo. Je l'ai aussi refait à pied, mes pas actuels dans chaque détail ancien. Jusqu'au jardin dont il ne reste, ultimes reliques, que la glycine dégoulinante.
Elle abritait deux cabanes qui ont aujourd'hui disparu. L'une sombre, étroite, sur laquelle je pouvais voir des photos et des coupures de journaux dont je ne revois pas les sujets avec netteté. L'une ds photos représentait le groupe de salariés de la LBM où mon père travaillait. A chaque fois, je le cherchais sur cette photo cornée, déchirée, presque plus une photo mais elle a toujours été là, comme un arbre, plantée là sur la porte. La glycine est toujours aussi généreuse mais le jardin potager a laissé sa place à un jardin d'un autre type. De l'autre côté, le Cher berçait une petite porte qui donnait sur un chemin. Avant la sortie, des cerisiers généreux fournissaient la matière première à des clafoutis hors norme que ma mère préparait. Je cueillais moi-même ces cerises aigres dont le noyau restait accroché à la queue et la queue à la branche. J'en ai presque reconnu le goût du clafoutis dans le désordre de la réalité.
Ange 01/08/2020 22:58
Monde Diplomatique 01/08/2020 21:51
M 01/08/2020 19:21
Monde Diplomatique 31/07/2020 10:57