Il fait doux ce soir, sur l'esplanade. La lumière souligne, à coups de crayon électrique, les lignes brutes et symétriques de ces parois devenues osseuses. Les jets d'eau émergeant du sol ont adopté une cadence anarchique comme s'ils étaient livrées à eux mêmes et générés par leur propre intelligence. J'ai comme une impression de nostalgie heureuse : ces formes, cette texture, cette façon d'être ancré dans le sol, cette apparence de fierté, cette masse presque vivante d'où montent des pensées.
Forcément, les sentiments qui me traversent ne concernent que moi et ma solitude soumise à la dépendance d'une béquille humiliante. Vieillir est un faux argument pour avoir l'excuse de mourir. Sans doute, devrais-je tenter de m'éloigner sans aide, de ce lieu sans parole. De feindre l'indifférence comme si je n'étais jamais revenu. Comme si cet endroit m'était familièrement connu. Il n'y a pas de souvenir sans soupçon. De retour sans souffrance. Pas plus qu'il n'existe une envie de survivre sans la nécessité d'être utile. Ce qui est essentiel, c'est de savoir faire semblant de maîtriser les choses pour se venger secrètement de leurs humiliations.