En 2020, Charlie-Hebdo et plusieurs dizaines de médias défendent plus que jamais la liberté d'expression. Preuve que cette évidence n'est pas acquise. Etrange paradoxe à l'heure où les réseaux sociaux déversent tout et n'importe quoi, empilent des grossièretés, des mensonges, de la malinformation, à l'heure où certains croient que, justement, on peut tout dire parce que les réseaux sociaux ne ferment jamais les robinets de l'excès, il est plus jamais utile de rappeler que non, la perversité des moyens, fragilise justement la liberté d'expression. Evidemment, il faut garder en tête que cette liberté-là, n'autorise pas à insulter ou discriminer, porter atteinte à l'intégrité de et c'est justement dans le double fond de ces pares-feux que certains en profitent pour y voir des raisons d'avoir raison.
Pendant que nous défendons la liberté d'expression contre des esprits totalitaires qui érigent leurs obsessions en totems et veulent faire vivre la société dans leur ombre, en France, à Vierzon même, on réprimande des collégiennes sur leurs tenues vestimentaires, on leur fait remarquer qu'à la prochaine jupe jugée "trop courte", ce sera des heures de colle. C'est aussi cette liberté-là qui est mise à mal, celle de se vêtir, de pouvoir pour des jeunes filles mettre une jupe ou un haut sans manche sans avoir le poids des regards, des insultes, des hormones qui travaillent les garçons.
En 2020, il faut défendre à la fois la liberté d'expression et la liberté pour les filles de s'habiller librement. C'est quand même dingue. Comme pour la liberté d'expression, au lieu de s'attaquer aux causes, on s'attaque aux conséquences. On ne peut pas enrayer ceux qui grignotent notre liberté, alors on s'en accommode, on trouve des subterfuges comme l'auto-censure, l'extrême-prudence, les débats pudiques. on commence à remplacer un mot par un autre, puis une expression. Puis demain, on choisira de ne pas traiter le sujet pour éviter de "fâcher". On lisse, on rince, on nettoie, on récure, on essore, on fait du papier mâché, on fait de la bouillie insipide qui a le mérite de remplir le ventre mais vide l'esprit et cette lâcheté, distillé à petites feux, tue ce que nous défendons aujourd'hui.
Comment en est-on arrivé, en 2020, alors que tout le monde dit tout et n'importe sur tout et n'importe qui, à devoir, d'un côté, laisser le robinet de l'imbécilité couler en permanence avec ses gros caillots complotistes et ses tumeurs égocentriques où chacun se prend pour le spécialiste d'une cause dont il ignore tout, et d'un autre côté, défendre l'essentiel qu'est cette liberté d'expression fragilisée, portion congrue ? Il y a urgence à redevenir nous-mêmes, guidé par le bien commun de notre libre conscience et non pas, attaché à des dogmes d'invisibilité qu'il ne faudrait pas écorner car il guide des peuples entiers ? Alors demain, on ne pourra plus dire ça, demain on ne pourra plus s'habiller comme ça, demain on ne pourra penser comme ça, demain on ne pourra plus être. Bordel, réveillons-nous avant de s'endormir totalement.