Aujourd'hui, Madame Faucille et Monsieur Marteau ouvrent un commerce rue Joffre.
Madame Faucille foulait d'un pas volontaire les pavés usés aux accents mitterrandiens de la rue Joffre dont la vacance commerciale lui sautait aux yeux comme les bulles de son champagne préféré quand elle y trempait ses lèvres.
Monsieur Marteau, le doigt sur les indicateurs boursiers de ses sociétés tant officielles qu'officieuses, dont les graines ont germé dans quelques paradis fiscaux récemment dénoncés, tentait de briser son ennui linéaire en retrouvant le goût de la création d'entreprise.
Madame Faucille dont les talons aiguilles entamaient la chair flasque des pavés devenus poreux avec l'âge se désolaient de cette désertification rampante qui nuisait à sa joie, toute juvénile, de lécher les vitrines devenue, c'est vraie, plutôt rares dans cette artère.
Monsieur Marteau, les narines écartées comme celles du chien flairant la truffe sous la terre et l'intuition dressée comme une antenne-râteau à l'heure des films de Belmondo le dimanche soir quand il n'y avait que trois chaînes, grattait le sol de ses idées pour sortir de son marasme saisonnier.
Madame Faucille, le cœur soudain léger car non entravé par l'obligation d'exercer un métier pénible, voire pas de métier tout court, eut soudain une idée soudaine, non pas de travailler, le verbe était déjà incompréhensible, non, mais d'ouvrir une boutique avec des choses à vendre dedans.
Monsieur Marteau qui possédait déjà un matelas foncier de la taille de la commune de Méreau, avec les lieux-dits, s'enquit des bonnes affaires immobilières à faire dans le périmètre de sa connaissance vierzo-vierzonnaise. C'est là qu'il hachura, sur une carte, ce qu'il appelle les territoires perdus des agences immobilières. Par le truchement du hasard, il choisit la rue Joffre pour la non-valeur de ses murs.
Madame Faucille dont le reflet de son manteau pourpre du poids de plusieurs SMIC se mirait dans une vitrine vide, colla son nez poudré de riz sur la porte et tenta d'apercevoir ce qu'il n'y avait pas à l'intérieur. Elle décida pour elle-même que ce serait ici qu'elle ouvrirait son commerce d'elle ne savait pas encore le contenu mais dont elle savait que ce serait bien.
Monsieur Marteau, pendant ce temps-là, rafla dans une indifférence libérale et capitaliste, plusieurs pas-de-porte poussiéreux pour un noyau de prunes. Malin, il ouvrit le robinet de l'argent public qui arrosa généreusement les travaux qu'il entreprit à l'intérieur, loua à des prix déraisonnables les logements situés à l'étage ainsi que les pas-de-porte dont il se faisait payer directement les loyers par un organisme d'Etat.
Madame Faucille trouva tout de même que l'environnement vieillot de la rue Joffre ne collait pas avec la nature encore inconnue de son commerce. Et qu'il serait bon, avant qu'elle ne se lance dans le négoce que la rue retrouvât une allure digne du rang de Madame Faucille, vu le prix de son manteau, ce serait le moins.
Monsieur Marteau, heureux comme un pape, se moquait pas mal de l'usure des pavés de la rue Joffre. Il avait ce qu'il appelle un bon rendement, et offrait des locaux propres à qui voulait en posséder. Il n'attendait plus que le pigeon client.
Madame Faucille, tout à sa jubilation presqu'enfantine, ne parvint pas à se décider sur ce qu'elle pourrait vendre entre les murs de son nouveau commerce. Elle décida donc de vendre du rien. Et pensa qu'un commerce vide collait plutôt bien à l'âme de la rue.
Voilà comment Madame Faucille et Monsieur Marteau ouvrent un commerce rue Joffre.
Bientôt un prochain épisode.