En pleine descente, panne de rênes. Le Père-Noël n'en crut pas lui même. Il aurait parié tous ses lutins sur la fiabilité de son traineau Rênhaut. Et là, un 24 décembre, la pire poisse embrase sa barbe blanche. Pas de rênes, pas d'étrennes.
Dans un atterrissage qu'il pressent sur le fil, le Père-Noël parvient à distinguer, entre deux jets de poudreuse, quelques lumières bavardes. Au moins, il ne sera pas seul, au milieu d'un champ de nulle part, sans antenne-relais pour son téléphone portable. Dans une manœuvre désespérée, il parvient à planer suffisamment longtemps pour s'approcher le plus possible de l'agglomération silencieuse. Freinant des quatre fers tout en serrant les dents, le Père-Noël immobilise son attelage près d'un panneau d'entrée de ville. Plissant les yeux dans la blancheur épaisse, il distingue le nom : Vier-zon. Une vieille rengaine lui remonte inconsciemment à la gorge : "t'as voulu voir Vierzon, et on a vu Vierzon..."
Pas un garage ouvert. De toute façon, il n'a pas intérêt à faire de battage autour de sa présence ici. Imaginez que la presse s'empare de ce fait d'hiver.... Impossible de faire redémarrer ses rênes. Bougies, filtres à air, allumage, tout y passe en vain. Le temps presse pourtant et faire venir la dépanneuse dans la cadre de la garantie Rênhaut, trop long. Le Père-Noël charge ses lutins de garder l'attelage. Pas de warning, surtout, évitez de se faire remarquer. Et trouver une solution de rechange. La neige épaisse étouffait la ville. Le Père-Noël pensait à ses enfants qui n'auraient sans doute pas de cadeaux demain matin. Le miracle de Noël allait devenir un cauchemar. Sa réputation était sur la sellette. Pour faire venir une paire de rênes neufs, il faut au moins... ah non, pas possible. Le bonhomme rouge pourtant émancipé du stress, se faisait des cheveux blancs, pléonasme de saison pour un Père-Noël.
Soudain, dans le silence étouffé par les flocons épais, il perçut un bruit familier. Sorte d'hymne au rythme apnéique d'un moteur semi-diésel. Il connaissait bien sur bruit-là, jadis le père de son père racontait aux lutins émerveillés, la science d'un tracteur qui ne tombait jamais en panne. Le Père-Noël fouilla sa mémoire glacée sous son bonnet rouge et parvint à en extirper le nom du tracteur : un Vier-zon. Bon sang de sapin de bois, marmonna-t-il. Serait-il possible qu'il soit tombé, par chance, en panne au pays du tracteur ? Il avança jusqu'à la source du bruit. Trouva un garage ouvert sur un tracteur vert allumé et.... un Père-Noël chevauchait la bête ! Bougre de moi, sourit-il. Quelle mauvaise imitation.
Il héla le père Noël en toc, lui expliqua la situation, sortit sa carte professionnelle et parvint à s'attirer la sympathie du faux père Noël, en partance pour une tournée factice de distribution de cadeaux. Pas bégueule, ce dernier lui tint à peu près ce langage : "si votre barbage se rapporte à votre costumage, vous êtes etc etc." Le vrai Père-Noël qui connaissait la fable emmena le faux-lui jusqu'à son traineau. La fausse barbe en tomba par terre et le Père-Noël de pacotille se pinça trois fois pour croire en ce dont justement il ne croyait plus depuis longtemps. Ni une, ni deux, la solidarité de Noël fit jouer son grand orchestre. Le faux Papa Noël couru chercher son tracteur et l'arrima au traineau plein à craquer.
Seul bémol : le bruit. Impossible de sillonner le ciel du sommeil enfantin sans réveiller les têtes blondes qui devaient absolument dormir pour recevoir les cadeaux. Le faux Père-Noël, bricoleur comme pas un, chapeauta l'échappement d'un silencieux efficace. Et dans la nuit vierzonnaise, un étrange attelage s'élança dans la nuit blanche de neige. Les rênes attendirent la dépanneuse et le faux Père-Noël jura de garder le secret sur ce qu'il allait vivre. Il proposa au vrai-lui de le seconder, le temps de cette nuit, pour rattraper le retard ce que le père Noël titulaire accepta sans ambages. C'est ainsi que la légende courut que ce soir de Noël 2023, la tournée du Père-Noël fut sauvé par un tracteur de Vierzon.
Le père Noël ravi se jura pourtant qu'à la prochaine panne, il ferait en sorte d'atterrir près d'un concessionnaire Ferrari. Ce n'est pas tant pour le prestige, mais pour la couleur. Car un tracteur vert, la couleur du Vierzon, avec un manteau rouge, c'est à n'en pas douter, une faute de goût. Mais, la légende est si belle qu'on y croit forcément....
Rémy Beurion