Avant le désastre architectural du Forum république

Publié par vierzonitude sur 16 Juillet 2024, 17:05pm

Vous voyez cette photo, il y a tout de ce que mon enfance a respiré, vu, piétiné. Vous voyez le petit muret qui va en diminuant ? A chaque fois que j'y passais, avec ma mère je grimpais dessus et elle m'accompagnait, toujours sa main dans la mienne.

Vous voyez, tout au fond, c'est là que nous apparaissions, ma mère et moi, de la rue du Champanet, pour aller en ville. Nous descendions la petite pente, en bitume rouge, et nous longions le muret qui séparait désormais, la terre ferme de l'Yèvre non plus canalisé mais busé.

J'ai une tendresse singulière pour cette photo, car, à tout moment, je pourrais prétendre apparaître, suivre la courbe, passer devant l'abri à vélos avec ses toilettes en bout, filer place du Mail pour atteindre la rue de la République. Les travaux n'étaient pas terminés mais ils préfiguraient nettement ce lieu que j'ai tant foulé, aimé, ce lieu disparu au profit du Forum république, une aberration qui fait regretter le vide qu'il a très mal comblé.

Sur une autre photo, vous voyez cet enfant sur le muret ? Ce n'est pas moi mais c'est moi un peu, en fait, cet enfant représente tous les enfants qui ne pouvaient pas s'empêcher de grimper sur ce muret. A chaque fois, c'était une fête, à moins que ma mère ait entrepris de mettre des airs de fête partout où je pouvais marcher, elle en était capable.

Ce chemin ne m'a jamais lassé, au contraire, il prétendait toujours accompagner des instants en dehors du temps. Il fut l'inlassable parcours vers le centre-ville avec ma mère, l'inlassable parcours de ma vie de collégien. L'inlassable parcours de mon adolescence, de mes samedis après-midi dans les magasins, dans lesquels je traînais avec le fils du patron du café du Mail. Nous allions jouer au baby-foot au Royal Jeux rue Gourdon, ou au Chêne Vert rue des Ponts ou encore à l'Express, chez Mario. J'y reviendrais.

J'adorais cette partie de Vierzon, ce virage de la Banque de France et cette ligne droite vers l'auberge de jeunesse, à gauche l'immense parking et ses rues perpendiculaires. Je ne savais pas qu'à cet endroit, un projet urbanistique sommeillait dans un carton, que le canal une fois bouché devait servir non pas, à offrir un vaste espace qui aurait pu être aménager différemment, mais à bétonner la plus lourde erreur de cette ville, le Forum république, qui au moment de sa construction, à la toute fin des années 1980, et inauguré au tout début des années 1990, était déjà dépassé.

La maison à pans de bois n'était pas encore usée, Sivry place Foch était encore ouvert, Jeanne d'Arc aussi, rue de la République. Cet endroit particulier était l'avant-ville, et au retour, il était l'avant-retour rue du Champanet, toujours la main de ma mère dans la mienne. Ce vaste parallélépipède allant de la place du Mail à l'auberge de Jeunesse a été secoué, pas toujours à bon escient, par des projets disparates et souvent de mauvais goût.

Les pavés roses du Forum république, son architecture aux arêtes tranchantes, son manque d'esthétisme et surtout, son inachèvement, ne peuvent faire que regretter la surface qu'il occupe. C'est ici, avant qu'il ne fut construit, que la fête foraine comme je l'ai déjà écrit s'installait.
C'est à cet endroit, en 1980, que la billeterie du festival Pulsar 80 a brûlé avec une partie du chapiteau. Entre la rue du Champanet et la place du Mail, qui elle aussi n'a pas été gâtée par une intelligence urbanistique, susbiste, mais que sur les photos, un petit pays, celui de mon enfance. Et un petit muret sur lequel je grimpais pour paraître plus grand. Si j'avais su, je serai resté petit, pour toujours sentir la main de ma mère dans la mienne.

R.B.