Quelle émouvante intimité. Comme si l'on ouvrait une porte et que derrière, nos yeux butent sur les rangées de bouteille et que notre bouche, assoiffée de politesse, lance un "Bonjour René."
La bonhommie colle aux figures qu'on dessine des patrons de bistrot, plantés derrière le comptoir, pour accueillir le client. Le comptoir c'est cette frontière qui décide du statut de chacun : le consommateur d'un côté, le patron de l'autre, seul à régner sur son domaine de boissons.
"Chez René", c'est écrit sur la porte vitrée, pourquoi une porte vitrée ? Pour que de dehors on puisse voir ce qui se passe dedans. Les autorités de la troisième République, notamment, se méfiaient comme de la peste des débits de boissons, cabarets, cafés, comptoirs d'épicerie. Leur nombre pullulait tellement qu'à une époque, Vierzon comptait un débit de boissons pour quoi, trente habitants, femmes et enfants compris.
"Chez René", on y retourne quand vous voulez, sauf que derrière la porte qui n'est plus vitrée, plus de bistrot. Du passé pour le café de l'Avenir, rue Gustave Flourens, un café d'angle pour embrasser deux rues, il n'y avait pas meilleure exposition. Ce devait un être bon gars, René, rien que dans le prénom, il y a quelque chose d'abordable, à moins que ceux qui l'on vraiment connus nous disent le contraire.
C'est un de ses bistrots de cheminots, comme le Signal d'Arrêt, le café des Gueules noires ou le café du Dépôt, des rades dont la mémoire reste gravée dans la pierre. Sur le mur, on peut toujours lire "Café de l'Avenir", les lettres ne sont plus rouges sur un fond blanc, mais elles dominent encore le quartier. Plus loin, le café du Dépôt (celui des cheminots étaient situé en face) montre encore la logique de ses lettres au dessus d'une large fenêtre. L'archéologie bistrotière est fascinante.
"Chez René", il devait y avoir une clochette qui tintinnabulait lorsqu'on ouvrait la porte, histoire d'annoncer l'entrée majestueuse de l'habitué, ici, c'est évident, on y venait par habitude, on s'y jetait par plaisir, on s'y rendait pour l'amour de sa communauté.
Au-dessus de la porte, il y avait un panneau de bois peint sur lequel on pouvait lire "Café de l'Avenir", l'avenir appartenait forcément à ceux qui partaient à l'heure, dans les locos à vapeur.
Une autre photo montre un homme qu'on prend toujours pour René à côté d'une femme et d'un enfant, souvenirs émouvants d'une famille devant le bistrot, quand le bistrot faisait vivre la famille et en accueillait d'autres. C'est fou, on a presque envie, là sur le seuil de cette image, de commander un verre, de dire quelque chose qui brise le silence entre le passé qui s'étire, là, devant nous.
A Vierzon, les bistrots logeaient des castes, des catégories socio-professionnelles, des pans entiers d'humains qui buvaient un coup ensemble, l'esprit détaché du reste du monde mais attachés entre eux, par les fils de leurs métiers.
Qui fit graver le nom du nom du bistrot dans la pierre ? Peu importe, la masse grouillante des milliers de souvenirs qui y sont liés sont maintenus fièrement par ces quelques lettres, au-dessus d'une porte. Voyage insolite dans le tourbillon des licences IV. Et René, qu'est-il devenu dans les champs moissonnés des années qui passent ?
Un rien, un infiniment rien nous sépare de l'instant où la porte d'ouvre et René lève la tête. Les bistrots avaient en eux, cette capacité extraordinaire de faire de chaque utilisateur, un être fatalement immortel.
R.B.