De ma cour de la rue du Champanet, j’entendais, l’été, le piaillement des cris chlorés qui, de l’autre côté du quai Marcel Lancelot, occupaient tout l’espace de la piscine Lafferrière : deux bassins dont un profond de 5m80, un plongeoir avec deux niveaux, une immense pelouse bordée d’arbres pour bronzer… Des dizaines de vélos attendaient le long du grillage. Cette piscine était un oasis étonnant, au bord du Cher, un lieu de convergence fabuleux de la jeunesse vierzonnaise.
Sauf que moi, son pourtant très proche voisin, j’ai toujours détesté l'eau moi qui ne boit pourtant que cela, l'eau de la piscine, l'eau de la mer, l’eau dans laquelle on se baigne, en général. Une véritable aversion. Ma grand-mère avait compris la nécessité que j’apprenne à nager. Elle avait commencé à me payer des leçons personnalisées. Dans le petit bassin d’un mètre vingt, j’ai usé les nerfs du moniteur à ne pas ouvrir les yeux dans l’eau, à ne pas savoir coordonner mes bras avec mes jambes, à ne pas savoir respirer… Je le voyais, au bord de la crise de désespoir, mon cas était désespéré. Je ne sais toujours pas nager.
C’était une torture lorsqu’à l’école, il y avait des créneaux piscine. Une torture… Et une crampe dans le ventre quand M. Moreira, visage dur et crâne chauve, passait parmi nous, en rang, sur le bord du bassin, pour qu’il vérifie l’état de propreté de nos pieds et de nos talons. Je détestais aller à la piscine. Surtout lorsqu’il fallait attraper une perche, en sautant dans le grand bassin côté 1m80, au risque de ne pas la saisir et de finir au fond de l’eau, noyé… Combien de minutes je suis resté tétanisé, à fixer cette perche, en me disant qu’au bout d’un moment, le moniteur renoncerait à me faire sauter dans l’eau. Mais non ! Il fallait y aller.
Jamais, je n’ai grimpé les marches du plongeoir. Jamais. Je n’en ai même pas eu l’idée. Il était interdit de redescendre par les marches, vous montiez, vous sautiez. Point. M. Moreira avait cette sévérité naturelle mais il tenait sa piscine au cordeau. La discipline était une obligation.
Je me souviens des vestiaires, du caoutchouc orange qu’on se mettait autour de la cheville avec le numéro de notre panier où nous mettions nos affaires. En dehors de l’école, je n’ai été que très peu de fois à la piscine . D’abord, parce que j’étais tout seul, ensuite, parce que je n’aimais pas !
Je préférais entendre, de ma cour, les cris de ceux qui trouvaient à s’amuser, contrairement à moi qui n’y prenait aucun plaisir. Cette piscine a pourtant fait partie de mon enfance, de mon décor, de mon univers, de la ville entière.
La piscine couverte de Bellevue a mis fin à la piscine Laferrière, et je sais que beaucoup la regrettent encore. Pour ma part, l’attachement est d’une autre nature : la piscine comme la cour du Champanet sont mes trésors de gosse. Et si je n’avais aucune affinité avec les lieux, j’en avais avec les gens qui s’en occupaient.
Aujourd’hui, on voit encore nettement l’emplacement de la pelouse et des arbres qui la bordaient. Il reste quelques traces visibles des bassins. On entend presque les cris dans les bassins et les soupirs de ceux qui, serviette sur la pelouse, se faisait bronzer ensuite...
R.B.