C'est un petit matin vierzonnais en chapeaux mous et en impers. Trois hommes, au pied de la pharmacie, dans l'ombre du Beffroi, en regarde un quatrième qui lit quelque chose. Deux autres regardent ailleurs, le septième arrive avec une nonchalance qui trompe son intérêt pour ce que les autres font.
Les pavés irréguliers coulent jusqu'à la voûte du Beffroi. Les cache-cols indiquent une froideur pernicieuse mais que peuvent bien regarder les deux hommes en chapeau mou ? Leurs yeux se perdent dans la rue Joffre, c'est sûr, mais qu'ont-ils à s'inquiéter de ce qui s'y trame ? Le quartier murmure encore, à gauche, l'immeuble où Félix Pyat est né le 4 octobre 1810.
Journaliste, auteur dramatique et homme politique français, c'était aussi une personnalité de la Commune de Paris. L'immeuble a été rasé, remplacé par une résidence au goût contemporain qui tranche avec la plaque, dans le hall, qui mentionne la présence de Félix Pyat entre ses murs.
Qui sont ces hommes ? KGB ? CIA ? Police ? Employés municipaux ? La façade de la pharmacie est belle, l'officine existe toujours, c'est le seul témoin de cette époque. Le Beffroi également n'est pas parti, vigie indéboulonnable du vieux Vierzon. A croire qu'il a toujours été vieux. Ou est-ce le velouté du noir et blanc qui donne à cette image, le ton suranné autant que mystérieux.
On a beau tendre l'oreille, on ne perçoit rien de leurs murmures, de la cause de leur présence. Ont-ils des plans à calquer sur place ? Cherchent ils le trésor que Vierzon n'a jamais trouvé ? La légende du château triple de Lancelot du Lac ? Des traces avérées prouvant que Vierzon est Avaricum et pas Bourges ? Espèrent ils entendre les sabots du cheval du Prince Noir qui incendia la ville et prit le château, à deux pas, au XIIè siècle ?
Et où vont-ils sur cette deuxième photo ? Où cheminent ils dans ce petit matin pavé. Regardez à droite, je ne m'en souviens bien sûr, en revanche, l'emplacement. Cela ne vous dit rien. le surplus Dallois, dans les années 1980, on allait acheter là-bas, sa besace US qui nous servait de sac d'école. Et des Levis aussi.
Il m'a fallu du temps pour comprendre que le surplus Dallois, du nom du proprio, était le même qui, plus tard, avait repris le Paris Bar rue de la République. Les six hommes de dos, ne le savent pas encore, ils ignorent la destinée de ce magasin, celle de cette rue, les établissements Avon Ragobert à gauche. Ils s'éloignent comme on s'éloigne de son propre passé.
Avant de rembobiner comme on le peut, les souvenirs éteints, les souvenirs enfouis, cachés, les souvenirs évidents mais trompeurs, les souvenirs inventés, les souvenirs déçus. Ils doivent marcher encore. Jusqu'où s'arrêteront ils ?
R.B.