La rue des Ponts. C'était ma rue, après celle du Champ-Anet. La rue de tous les commerces, de toutes les proximités. La rue qui menait à l'Espagne, disait on, quand les automobilistes s'y croisaient, y restaient des heures, sur la route des vacances, quand Vierzon n'avait ni déviation, ni autoroute, et que la RN20 et la RN76 s'embrassaient à pleine bouche et transformaient la ville en un immense bouchon resté dans les mémoires.
La rue des Ponts. Elle reste le témoin privilégié de mes pas de gosse dans ceux de ma mère. Quand elle venait me chercher, à l'école Charot, elle m'emmenait chez Glaume, la boulangerie à la façade en briques. Elle y prenait son pain, la ficelle sans sel pour ma grand-mère et mon irremplaçable flan aux cerises.
La rue des Ponts, le trait d'union vivant entre le centre-ville et Bourgneuf, les petites commerces : la tripière, la charcuterie de M. et Mme Petit, il y avait aussi une pâtisserie (je suis allé à la maternelle avec leur fille), le magasin Lanicot, Gendrault, Aquatropic, le bar du Rocher, le café-hôtel du Chêne-Vert, la Tassée, la quincaillerie Baty, la pharmacie Jouve et à côté, le café du Rallye, les meubles Patrigeon, une boutique de pêche (j'ai oublié le nom), plus loin la boulangerie Joly (?) Et d'autres encore dont les noms m'échappent (un peu d'aide serait la bienvenue !)
La rue des Ponts pétillait, elle pesait dans le paysage commercial, elle offrait tout, elle m'offrait cette balade précieuse avec ma mère, les portes des boutiques qu'on poussait, et on revenait, le long de la rue Rabelais, on attrapait le pont Molière, on bifurquait rue du Champ-Anet. On rentrait à la maison.
La rue des Ponts. Je ne savais pas, à l'époque, qu'elle était condamnée, dans les cartons de la ville dans lesquels dormait un projet que l'on regrette encore aujourd'hui : le Forum république.
Construit en 1990, il a tué la rue des Ponts, aspiré les commerces qui ont fermé les uns après les autres, asséché les bistrots, tué la rue. Coup de grâce : le sens unique a fini de l'achever. Il n'en reste plus grand chose.
C'est une rue aimée des archéologues : on y devine les traces d'anciennes inscriptions, de moins en moins, les pas-de-porte vides sont transformés en maisons d'habitation. La boulangerie Glaume a mal vécu l'incendie d'un véhicule.
Je m'y promène pour renouer les fils de ma mémoire, sentir la main de ma mère dans la mienne, retrouver l'odeur de cigarettes imprégnée dans mon Picsou magazine, dans mon Mickey Parade aussi achetés au Rallye. J'y viens comme en pèlerinage. Respirer les odeurs du gosse qui a tant traîné sur ses trottoirs.
R.B.