Je n'ai jamais compris, depuis l'âge où il m'est permis de comprendre comment des êtres sensés, en pleine capacité intellectuelle, ont pu laisser un tel édifice se construire sur le canal défunt.
Ce corps de bâtiments en forme de U renversé, datant de 1969, élevé de 4 étages sur rez-de-chaussée en partie droite, de 3 étages sur rez-de-chaussée en partie centrale et de 2 étages sur rez-de-chaussée en partie gauche a toujours heurté mon horizon de gosse et ma compréhension d'adulte.
Avant que cette immense superficie de terrains gagnée sur le canal après son busage ne soit hérissée d'une myriade de constructions sans rapport les unes avec les autres, le "central téléphonique" était dès son origine, une verrue, un champignon qui n'a jamais été à sa place. Pourquoi l'avoir construit à cet endroit ? Pourquoi avoir voulu mélanger avec une telle ténacité des styles qui ne concordaient pas ?
Comment un esprit cartésien a pu décider, un jour, de bâtir une telle construction, entre deux rangées de maisons ordinaires, même si la plupart d'entre elles étaient déjà en sursis ? Ce fut le cas de tout une floppée de maisons rasée pour laisser la place à l'actuel place du cirque Amédée, devant la médiathèque.
Ce n'était là que le premier maillon d'une chaîne de mauvais goûts : centre des impôts, Poste, résidence de la Poste, ilot Larchevêque, bibliothèque, auberge de jeunesse... Et le pire : le Forum république. Car à cette époque, lorsque j'écorchais mes genoux dans la cour du Champ-Anet et que je tapais un ballon contre le haut mur du magasin de chaussures Pérose, Vierzon se préparait à accueillir 50.000 habitants...
Il n'y en aura jamais plus de 35.699 en 1975, le summum. Le central téléphonique a été la première erreur à être sortie de terre même si les besoins de l'époque l'exigeaient, Vierzon n'a jamais eu le sens de l'esthétisme. On l'a vu dans une précédente chronique, les Usines ont poussé dans le centre de la ville, maisons et industries convolaient en justes noces, alors la construction du central téléphonique à deux pas du centre-ville ne semblaient gêner personne.
J'ai grandi avec ce bâtiment et l'espace laissé vacant par le canal a grandi avec moi Le haut bâtiment domine encore de sa lourdeur le paysage. Ce témoin d'un autre siècle est aujourd'hui encombrant comme d'autres constructions qui le sont tout autant. Plus d'un demi-siècle plus tard, comment retrousser les erreurs du passé ?
On ne recreusera jamais le canal à la même place, c'est une certitude, le projet fut envisagé mais abandonné. Les exigences d'hier ont rapidement été dépassées, le Forum, un projet des années 1970 n'aurait jamais dû être construit en 1990.
Le central téléphonique, en partie vidé de sa substance, n'a rien du Beffroi qui domine le vieux quartier. Vierzon avait elle besoin de se trouver d'autres monuments, plus modernes, pour se donner l'illusion d'entrer dans une ère nouvelle ? Ecartelée entre quatre grands quartiers qui furent les quatre anciennes communes, la ville s'est toujours cherchée un centre unique qu'elle n'a jamais trouvé.
Le central téléphonique était la première pierre d'une longue litanie architecturale. Avec le recul du temps et les autres exigences qu'imposent notre époque, les erreurs d'hier n'ont pas servi pour éviter celles d'aujourd'hui. La place Jacques Brel, sa minéralité excessive et sa vague de béton est le pendant moderne du central téléphonique.
R.B.