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Vierzonitude

Le blog que personne ne lit... mais dont tout le monde parle


Les vélos prenaient bien soin d'éviter les rails du Tacot

Publié par vierzonitude sur 28 Juillet 2024, 21:48pm

Les vélos prenaient bien soin d'éviter les rails du Tacot

Les vélos prenaient bien soin d'éviter les rails du Tacot, tellement... casse-gueule. Les boyaux préféraient de loin les irrégularités des petits pavés de la rue de la République, ce n'était pas forcément confortable mais au moins rassurant, sauf quand il pleuvait. Mais ce jour-là, il ne pleuvait pas, ce samedi là plus précisément. 

Le marché était dressé sur la place d'Armes et nous avions pris l'habitude de nous donnez rendez-vous là, à la croisée de deux mondes, au coin des chaussures Raymond. La bande de copains se formait là, nous nous agglomérions les uns aux autres pour ne former qu'un groupe compact et d'une amitié sans fissures.

Chacun son style : cravate stricte sous un imper sombre, veste sur un pantalon large, costume noir sous des cheveux gominés. Et à droite, c'est moi (enfin une fiction de moi), avec mon pantalon à la Tintin sans Milou. Nous avions la classe en commun, le porter beau, le porter chic, le porter décontracté les mains dans les poches et les yeux sur l'objectif. 

C'était ainsi tous les samedis, ils démarraient en début d'après-midi, petite grappes d'hommes aux vies communes, le temps de plusieurs heures qui débordaient, parfois sur la nuit. Nous aimions sentir les pavés sous nos pas, quand nous montions la rue de la République. Les trottoirs étaient constamment bondés et parfois, pour suivre le fil inattendu d'un parfum singulier, nous en perdions un, pour le retrouver plus tard, ou pas du tout. Ou plus loin, à nous attendre, la tête dans ses propres rêves.

Un wagon que nous raccrochions en route, pour suivre nos destins de jeunes Vierzonnais. La ville avait en elle, les charmes qu'on attendait d'elle, et souvent, dans le creux d'un bistrot dont nous avions fait notre nid, nous passions de longues heures à regarder passer les gens, à pied, en vélo, en voiture, à tenter d'en reconnaître certains, pour que le lundi, à l'Usine, nous puissions taper dans le dos de quelques uns en leur disant "alors, samedi, tu t'es bien baladé ?"

Nous étions tous des solitaires en groupe, des individualités portées au jour le jour, les uns avec les autres, uniquement ce jour-là, comme une sorte de communion solennelle avec l'amitié. En semaine, livre à chacun d'en fréquenter d'autres, mais le samedi, immuable, jour de notre transformation physique, l'appel pour être ensemble restait le plus fort. 

Cette idée d'être compact, soudé, tissu à tissu, de rire souvent très fort, de vivre toujours très fort, cette idée nous traversait le corps et fluidifiait notre sang. Nous montions la rue de la République, nous la descendions avec le même appétit, nous enfourchions la place d'Armes. Les plus coquets s'arrêtaient à la Belle Jardinière, d'autres bifurquaient aux Nouvelles Galeries, ce n'était pas les grands magasins qui manquaient pour notre soif vestimentaire.

Nous allions partout où l'attirance gagnait, dans ce Vierzon là, dans nos rues, dans nos cafés, dans nos magasins, nous étions d'immortels spectateurs de nous mêmes, sortis de leurs logements trop petits pour s'habiller d'une ville à notre taille. 

Nous l'avons tant abordé, tant traversé dans ses longueurs et ses largeurs, nous l'avons tant éprouvé quand, au fur et à mesure de nos vies distinctes, les uns partaient pour ailleurs, les autres pour une autre, nous tous, dans un chagrin que nous refusions d'identifier, avancions de moins en moins nombreux. 

Je suis resté seul, démuni, avec mon pantalon éloigné du sol. Je suis resté par choix et par fidélité, par envie, par goût, il n'y a pas de raison d'aimer une ville, il n'y a pas de raison pour s'y sentir tellement chez soi qu'elle finit par vivre chez vous. 

Les autres revenaient de temps en temps, pour une balade commémorative. Je leur racontais ce qui changeait, ce qui ne changeait pas, les odeurs des samedis après-midis, les parfums sur une terrasse, les grands magasins... 
Sans chercher, vous avez forcément croisé mon âme, quelque part, ou sans doute m'avez vous vu sur des photos, un samedi, les mains dans les poches, au bord de la place d'Armes. Il y avait toujours un photographe de la rue. Il était de l'autre côté, ce samedi là, et nous le regardions tous. Nous n'avions même pas vu passer la jeune femme en vélo. 

R.B.

Les vélos prenaient bien soin d'éviter les rails du Tacot, tellement... casse-gueule. Les boyaux préféraient de loin les irrégularités des petits pavés de la rue de la République, ce n'était pas forcément confortable mais au moins rassurant, sauf quand il pleuvait. Mais ce jour-là, il ne pleuvait pas, ce samedi là plus précisément. Le marché était dressé sur la place d'Armes et nous avions pris l'habitude de nous donnez rendez-vous là, à la croisée de deux mondes, au coin des chaussures Raymond. La bande de copains se formait là, nous nous agglutissions les uns aux autres pour ne former qu'un groupe compact et d'une amitié sans fissures. Chacun son style : cravate stricte sous un imper sombre, veste sur un pantalon large, costume noir sous des cheveux gominés. Et à droite, c'est moi (enfin une fiction de moi), avec mon pantalon à la Tintin sans Milou. Nous avions la classe en commun, le porter beau, le porter chic, le porter décontracté les mains dans les poches et les yeux sur l'objectif. C'était ainsi tous les samedis, ils démarraient en début d'après-midi, petite grappes d'hommes aux vies communes, le temps de plusieurs heures qui débordaient, parfois sur la nuit. Nous aimions sentir les pavés sous nos pas, quand nous montions la rue de la République. Les trottoirs étaient constamment bondés et parfois, pour suivre le fil inattendu d'un parfum singulier, nous en perdions un, pour le retrouver plus tard, ou pas du tout. Ou plus loin, à nous attendre, la tête dans ses propres rêves. Un wagon que nous raccrochions en route, pour suivre nos destins de jeunes Vierzonnais. La ville avait en elle, les charmes qu'on attendait d'elle, et souvent, dans le creux d'un bistrot dont nous avions fait notre nid, nous passions de longues heures à regarder passer les gens, à pied, en vélo, en voiture, à tenter d'en reconnaître certains, pour que le lundi, à l'Usine, nous puissions taper dans le dos de quelques uns en leur disant "alors, samedi, tu t'es bien baladé ?" Nous étions tous des solitaires en groupe, des individualités portées au jour le jour, les uns avec les autres, uniquement ce jour-là, comme une sorte de communion solennelle avec l'amitié. En semaine, livre à chacun d'en fréquenter d'autres, mais le samedi, immuable, jour de notre transformation physique, l'appel pour être ensemble restait le plus fort. Cette idée d'être compact, soudé, tissu à tissu, de rire souvent très fort, de vivre toujours très fort, cette idée nous traversait le corps et fluidifiait notre sang. Nous montions la rue de la République, nous la descendions avec le même appétit, nous enfourchions la place d'Armes. Les plus coquets s'arrêtaient à la Belle Jardinière, d'autres bifurquaient aux Nouvelles Galeries, ce n'était pas les grands magasins qui manquaient pour notre soif vestimentaire. Nous allions partout où l'attirance gagnait, dans ce Vierzon là, dans nos rues, dans nos cafés, dans nos magasins, nous étions d'immortels spectateurs de nous mêmes, sortis de leurs logements trop petits pour s'habiller d'une ville à notre taille. Nous l'avons tant abordé, tant traversé dans ses longueurs et ses largeurs, nous l'avons tant éprouvé quand, au fur et à mesure de nos vies distinctes, les uns partaient pour ailleurs, les autres pour une autre, nous tous, dans un chagrin que nous refusions d'identifier, avancions de moins en moins nombreux. Je suis resté seul, démuni, avec mon pantalon éloigné du sol. Je suis resté par choix et par fidélité, par envie, par goût, il n'y a pas de raison d'aimer une ville, il n'y a pas de raison pour s'y sentir tellement chez soi qu'elle finit par vivre chez vous. Les autres revenaient de temps en temps, pour une balade commémorative. Je leur racontais ce qui changeait, ce qui ne changeait pas, les odeurs des samedis après-midis, les parfums sur une terrasse, les grands magasins... Sans chercher, vous avez forcément croisé mon âme, quelque part, ou sans doute m'avez vous vu sur des photos, un samedi, les mains dans les poches, au bord de la place d'Armes. Il y avait toujours un photographe de la rue. Il était de l'autre côté, ce samedi là, et nous le regardions tous. Nous n'avions même pas vu passer la jeune femme en vélo. R.B.

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