Ma chère maman,
je ne sais pas si tes yeux me reconnaîtront mais je sais que ton instinct de mère le fera à leur place. Regarde bien, là, à côté du vélo, c'est moi ! Ainsi par la magie de cette image, je te parviens, par-delà aussi la distance qui nous sépare.
Avoue que j'ai de la chance, à peine arrivé à Vierzon, me voilà immortalisé en haut de cette rue qu'on appelle de la République. C'est la rue principale, avec ses petits pavés. Et tu vois, je voyage en restant finalement immobile : Un coin de Paris, l'hôtel des Messageries, et à gauche, les colonnes appartiennent au Miramar, le cinéma de la ville. J'ai prévu de m'y rendre dimanche. Je ne crois pas m'ennuyer.
Sur mon vélo, j'ai déjà fait le tour de la ville, enfin du centre parce qu'elle s'étend tellement qu'on dit ici, qu'elle possède la superfice de Paris intra-muros, mais sans la tour Eiffel. Dès la descente du train, je me suis rendu à l'adresse que tu m'as indiquée, chez l'oncle Marius.
Je ne me souvenais plus de ce grand bonhomme avec sa petite femme, Alphonsine. Je lui ai passé ton bonjour, ils m'ont offert à boire et le soir, à dîner. Entre temps, je suis allé voir le logeur que Marius m'a indiqué, et j'ai une chambre de bonne, rue du Champanet, en haut d'une vaste maison qui donne sur une vaste cour avec des pompes à essence.
Quand tu recevras cette lettre, avec cette photo, je serai allé voir le contremaître de la Société Française dont papa m'a donné le nom. Je suis allé voir l'Usine, tout près d'ailleurs où cette photo a été prise. C'est gigantesque, on ne croirait jamais qu'un tel bâtiment ait pu sortir de terre dans une ville comme Vierzon.
Je crois que je vais m'y plaire. Les gens que j'ai croisés sont très gentils. Je suis passé devant de nombreux bistrots. Bon, je me suis arrêté dans l'un d'eux l'autre soir et ce qui est assez curieux, c'est que les gens qui entrent viennent te saluer même s'ils ne te connaissent pas. Je me sens ainsi moins seul.
J'irai visiter les autres oncles et tantes dont tu m'as donné l'adresse. Et tu vois, là, sur la photo, je m'apprêtais à descendre la rue de la République pour aller, tout en bas, je en sais pas si tu vois bien, l'immeuble en fond, ce sont les Nouvelles Galeries, un grand magasin comme tu les aimes. Je crois que je vais me plaire ici. J'espère que vous pourrez bientôt venir me voir, d'ici là, je trouverai les coins les plus jolis pour qu'on aille ensemble s'y promener. C'est fou, maman, je ne savais pas que les voyages dans le temps était possible.
J'espère que tout va bien en 2024. Je sais que vous avez hâte de vous replonger dans cette époque où je suis actuellement. Pormis : je prends soin de ma petite chambre, je sais que c'est à cette adresse que vous viendrez habiter. Dommage que je n'ai pas pu emmener un appareil photo. Je vous ferai des dessins.
A très bientôt, par-dessus le temps.
Votre petit Vierzonnais de 1964.
R.B.