Cette façon d'imbriquer ses petits pavés, dans une sorte de valse minérale, a toujours retenu mon attention. Souvent, je m'arrêtais sur le bord du trottoir et je regardais avec infiniment de détails, ce dédale de petits pavés qui servaient de chaussée.
Jamais, je ne me suis ennuyé à laisser filer le temps ainsi, à observer, longuement les détails de cette ville. Je me disais qu'une ville comme celle-ci ne pouvait s'épanouir que dans le souci du détail, dans l'agencement léché des faits et des choses, des événements et des décors dans lesquels ils se déroulaient.
C'est aux détails intimes d'une ville qu'on mesure sa complicité avec ses habitants. Par exemple, le souci d'appartenir à elle-même, dans le nom de ce grand magasin, à gauche : "A la ville de Vierzon". Il n'y a qu'ici qu'on peut trouver cela, à Vierzon, "A la ville de Vierzon", même si le nom n'est pas d'une facilité à toute épreuve.
A gauche, les Nouvelles Galeries ont une résonnance plus efficace mais ils parlent moins de Vierzon que le magasin d'en face.
Les deux se regardent de biais, comme deux piliers inébranlables, comme si le centre de cette ville reposait sur ces deux bâtiments. Sans doute quittait on les Nouvelles Galeries pour se rendre A la ville de Vierzon, ou inversement dans une sorte de frénésie consumériste. Vierzon avait avec ses grands magasins, un lien particulier, il y en eut de nombreux, de fameux, tous disparus dans un tourbillon, parti, rasé, oublié, remplacé.
N'empêche que les petits pavés avaient une sacrée gueule, comme un tapis irrégulier sous les roues des vélos et les pas des passants. La ville semblait offerte à la promenade, à l'étourderie, à la flânerie urbaine, aux lentes enjambées pour passer d'un trottoir à l'autre ou s'enfoncer rue Armand Brunet, vers d'autres lointains.
C'est fou ce qu'une ville peut dissiper, raconter, prétendre, inspirer. Pas de faux semblant possible mais une succession de picotements doux. Je me demande, avec curiosité, qui est cet homme qui traverse la rue, et qui est l'autre qui parle avec lui.
Je ne sais pas lequel de tous ces personnages j'aurai aimé être, quel point de vue j'aurai pu embrasser. Mais une certitude demeure, je reste comme aspiré par le fond par cette image, par ces petits pavés, par cette insouciance sans doute feinte et cette réalité dure comme la pierre : je n'y étais pas mais c'est comme si j'y étais quand même.
R.B.