C'était avant la couleur, pas celle des photos, non, non, celle du pont de Toulouse dont l'origine du nom est simple à deviner : il enjambe les voies qui mènent à Toulouse. Sa massive carrure de ferraille rivetée, comme une vaste gueule ouverte, valait bien un café-restaurant à son blase. Histoire d'identifier la bête sur la route non pas des voyageurs ferroviaires mais des itinérants, qui passaient sur son tablier.
L'établissement a cette allure modeste des lieux qui savent vous accueillir, on ne sait pas si les hommes et les femmes, devant, sont des client(e)s de passage ou les responsables de cette enseigne. Derrière les fenêtres, on imagine sans peine ce qu'annonce la maison, des chambres meublées, des pensions, des repas à emporter, ce que l'époque contemporaine ne génère plus, sauf les repas à emporter....
J'irai bien poser mes coudes sur une table du café du Pont de Toulouse, pour entendre gémir les locomotives, pour entendre frémir les rails, pour entendre travailler les poutres métalliques du pont. Je n'aurais peut-être rien entendu de tout cela, derrière les murs du café du Pont de Toulouse, j'aurai toutefois respiré l'air du bistrot, mangé dans les assiettes du restaurant, félicité le cuisinier, dormi dans une chambre avant de repartir vers mon présent.
En sortant, je me serai appuyé au garde-corps qui sépare le piéton du vide au-dessus des rails, de ces traits verticaux ondulant vers d'autres directions. Impossible de dissocier le voyageur en transit à Vierzon d'un coin de comptoir ou d'une table de bistrot, c'est écrit dans les gênes, c'est inscrit dans les chromosomes des voyages en train.
En bas, sur le quai, il y avait le buffet de la gare, en haut, à l'étage, il y avait le café-restaurant du Pont du Toulouse, autour, il y avait ces cafés de cheminots aux noms si significatifs.
Il n'y a plus de café du Pont de Toulouse, il y a le pont, tout seul, avec ses couleurs délavées, ses rivets du fond du XXème siècle, sa patience, son âge plus que centenaire, sa solitude cramponnée de part et d'autre de la route. Il ne reste rien de cet établissement, encore moins des silhouettes figées devant les portes et la fenêtre. Le poids de ces fantômes ne feront pas ciller l'ouvrage. Mais peut-être qu'en passant, dans le silence relatif de cette ville en mouvement, on peut entendre les mots qui sortaient du café. Pour venir peupler les souvenirs extravagants de cette sorte de gare bistrotière.
R.B.