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Vierzonitude

Le blog que personne ne lit... mais dont tout le monde parle


J'avais garé ma Mobylette le long du mur

Publié par vierzonitude sur 21 Août 2024, 22:50pm

J'avais garé ma Mobylette le long du mur

J'avais garé ma Mobylette le long du mur, pas question de venir prendre une leçon de conduite en voiture. J'adorais ma Mobylette, avec ses sacoches, on aurait dit celle de mon père dans lesquelles il y avait toujours quelques outils et l'été, des poireaux qui en dépassaient, des carottes aussi et tous les légumes du jardin.
 
Ma Mobylette avait le sens de l'orientation. Elle savait où je devais me rendre et elle m'y emmenait, comme chaque semaine, place du marché au blé, pour ma leçon de conduite hebdomadaire. 

Avant de franchir la porte de l'auto-école, je faisais un tour gratuit de la place, je passais devant le café du père lunette, je n'y ai jamais vu de père et encore moins de lunettes, mais, quand j'arrivais en avance (parfois je le faisais exprès, disons que je le faisais tout le temps exprès), j'allais m'attabler de façon à voir ce qui se passait dehors, et je rêvassais avec mon café devant le nez. 

Pour changer de point de vue, et étant donné que je ne buvais jamais d'alcool, donc le bistrot ne pouvait pas me pervertir, je passais au bar d'à côté Le Berry, disons que deux rades côte à côté n'avaient rien d'étonnant, aujourd'hui quand il y a un bistrot dans un quartier, c'est le bout du monde.

Justement, le bout du monde, je m'étais promis d'y aller en Mobylette mais c'est tout un trafic quand il pleut, c'est pour cette raison que je passe mon permis, pour aller au bout du monde dans une caisse munie d'essuie-glaces et d'un moteur plus puissant que le deux-temps de mon engin. 

Après Le Berry, je reprenais ma Mobylette, et je refaisais un tour de la place en imprimant chaque détail pour plus tard. 

Je m'étais aperçu que les souvenirs, si on ne repasse pas dessus des centaines de fois, les détails s'effacent, le principal se dilue et il ne reste plus que des efforts à faire pour se souvenir et je n'aime pas trop les efforts, je me dis que lorsque j'aurai envie de me souvenir de cette place, je le ferai sans forcer, tout me viendra tout seul, les commerces, les commerçants, les détails, les marques des voitures, l'odeur de l'air, la texture du sol.

Dans vingt, trente, quarante ans, quand je ferai un tour de la place, je veux pouvoir dire qu'à cet endroit il y avait untel, qu'à cet autre, untel, là-bas untel aussi, quand Le père lunette aura disparu, car il disparaîtra un jour, quand le Bar le Berry aura démissionné, quand la graineterie aura fini de germer, quand le magasin Cécile sera devenu un magasin de jouets lui-même plus tard un restaurant, quand Taupin ne vendra plus de machine à laver, quand ma Mobylette aura rendu l'âme et qu'au volant de ma voiture, la radio à fond, j'essayerai de me souvenir le temps où je venais prendre mes leçons de conduite.

Foutu temps, à passer aussi vite, il râcle tout sur son passage, aucune finesse quand on pense à la méticulosité des horlogers, à monter des mécanismes aussi complexes, et que le temps, lui, laboure comme un âne, les terrains de nos mémoires.

 Puisque c'est ainsi, je vais jeter un petit café au Père lunette, je vais aspirer l'air, imprimer chaque détail dans mon cerveau, pour me le rejouer plus tard, dans la solitude de ma propre amnésie. 

Au fait, la place n'a pas tellement changé. J'y suis retourné, l'autre jour. J'aurai pu poser ma Mobylette contre le même mur mais je n'aurai pas retrouvé l'auto-école. 

Et vous, vous vous souvenez de quoi exactement ?

R.B.

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N
De tout au marché au blé je suis incollable
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