C’est une balade que ma mère a imprimé sur le papier de mon enfance et qui, jamais, ne s’est délavé, effacé, amoindri. Une madeleine de Proust que je croque encore, souvent car souvent, elle me disait, "allez, on va cueillir des violettes le long du canal". De la rue du Champ-Anet, nous marchions jusqu’à l’auberge de jeunesse et c’est en direction du Bas-de-Grange, que nous allions, sur la rive droite du canal, le long des grillages de la Case.
Inconsciemment, j’ai dû empiler, comme un mille-feuilles les images des engins de la Case, alignés sur le parking du bas. J’ai dû les regarder de mes yeux de gosse, les assimiler comme l’ADN d’un décor familier, ces pointillés industriels sur la ligne continue du canal. Quel paradoxe vierzonnais de chasser la violette dans un pareil environnement ! D’un côté, le brouhaha d’une industrie plus que centenaire, de l’autre, la nature qui batifole au pied d’un grillage que je ne vois pas comme un obstacle mais comme un tout.
Le fil de l’eau coupait le beurre du chaudron de la Case, cette emprise de sept hectares au milieu de la ville et que mes regards ont toujours caressé comme le piment d’une évidence. C’est certainement pour cela que, plus tard, j’ai noué une histoire singulière avec ces lieux, avec la mémoire de ces lieux, avec les lieux eux-mêmes. Ma mère et moi marchions sur la rive, les yeux rivés sur les violettes timides qui poussaient là. Allez savoir pourquoi les violettes, mais cette fleur a teinté mes jeunes années avec la tendresse maternelle qui leur servait de nutriments pour survivre à l’arrachement de leur terre pour un simple verre d’eau.
J’aurais aimé nous voir avec la conscience de l’adulte que je suis devenu, juste pour regarder ces deux ombres penchées sur les herbes, le long du grillage, que je regarde en l’interrogeant de savoir si lui aussi se souvient de moi, de nous, de ce gosse tranquille qui demandait souvent à sa mère de lui serrer plus fort la main, des fois où elle l’aurait lâché, sans le faire exprès.
Je ne sais pas, peut-être que les violettes ne poussaient que pour nous, peut-être qu’elles émergeaient du sol juste au moment où nous foulions la rive. Il y avait une ruisselante poésie dans cette balade, ma mère, les violettes, le canal et moi, quatre acteurs principaux.
Je m’arrête, je respire, j’écoute, je ferme un peu les yeux pour sentir si, par hasard, je ne serai pas moins grand, moins âgé, moins adulte, plus fils que triste, plus enfant qu’orphelin, plus chasseur de violettes que de souvenirs. Sur le grillage, je sais que mes pensées ricochent, je sais qu’elle s’y accrochent comme les plantes qui y grimpent sans cesse.
On allait cueillir des violettes qui craquaient le long du grillage. Mon enfance comptait fleurette le long du chemin de halage.
Le printemps me piquait les joues, les premiers soleils sont gourmands,
Rien n’aurait glissé entre nous, si ce n’est ce putain de temps.
Je faisais dix pas quand toi deux, l’air sentait les années faciles,
J’avais juste à fermer les yeux pour que tout devienne immobile.
Je regardais les gens sourire à mes mains qui tenaient les fleurs,
A mon envie de retranscrire l’air bleu qui me gonflait le cœur.
Je marchais toujours en retrait dans ton ombre antiatomique,
Car le monde était si abstrait, tu me le mâchais, sympathique.
Quand tu ouvrais les bras si grands que j’en devinais mal le bout,
Je devais être le seul enfant à tenir dans tes yeux, debout
Pendant ce temps-là, les violettes ne poussaient que sur notre route,
Mais quand tu as quitté la fête, elles s’étaient toutes dissoutes.
Le grillage existe toujours et le canal est toujours droit,
Je fais des allers et retours sur le sentier toujours étroit,
Mais le sol est creux maintenant, à croire que la seule lumière,
Capable de fleurir l’instant était le rire de ma mère.
R.B.