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Vierzonitude

Le blog que personne ne lit... mais dont tout le monde parle


#monvierzon (1)

Publié par vierzonitude sur 29 Octobre 2024, 13:12pm

#monvierzon (1)

Mon père était un prolo, ma mère était au foyer. J'ai grandi entre les sacoches de la Mobylette de mon père et les tics de ma mère dont le sommeil était miné par une arithmétique mentale à l'issue toujours incertaine.

Un peu plus tard, Coluche résuma le mieux du monde ce qui tracassait ma mère : "à la maison, le plus difficile c'était la fin du mois, surtout les trente derniers jours."

Mon père gagnait le pas assez d'argent, ma mère le gérait, elle gérait la pénurie et je la surprenais à parler, seule, à mâcher je ne sais quel souci de l'instant, à retourner les soustractions dans tous les sens quand les additions fuyaient ses savants calculs.

Mon père ne prélevait de sa paye qu'il disait "rapporter" à ma mère, que de quoi garnir le fond de son petit porte-monnaie. Je crois bien que c'est ma mère qui lui achetait ses Gauloises qu'il fumait comme d'autres se plongent dans une réflexion philosophique. J'allais chercher le vin de table, un Caravelle cinq étoiles qu'à la fin de sa vie, il noyait d'eau.

C'est finalement mon père qui se fit opérer à l'hôpital de Vierzon, d'un ulcère à l'estomac si avancé qu'il en fut amputé de son organe digestif et au passage, la rate fut du voyage. Déjà épais comme une allumette, mon père n'a jamais regagné quelques kilos que ce soit.

Au crépuscule de sa vie, quand j'ai ouvert la porte de sa chambre, en Ehpad, et qu'il était tombé de son lit, recroquevillé comme un sac d'homme, je l'ai moi même pris dans mes bras, plume de père qui ne pesait que l'air qu'il respirait.

Mon père était un prolo, ma mère était au foyer. Ils étaient de gauche, d'une gauche silencieuse, sans fracas ni vociférations. Ils votaient communiste aux élections municipales car à Vierzon, le communisme était une évidence. Je n'ai jamais surpris, entre eux, une conversation politique.

Ils devaient voter par réflexe, et de toute façon, leur modeste condition les empêchait d'être autrement. Meme lorsque mon père a occupé son Usine, la LBM, pendant plusieurs mois, j'avais été concisément mis à l'abri de l'argent qui manquait férocement.

Ma mère devait rêver d'une autre vie, sans aucune grandiloquence, juste plus confortable. Mon père n'avait pas le temps de rêver, en a-t-il eu l'envie ? L'Usine l'occupait à heures fixes, le jardin grignotait le reste de son temps, j'ai compris plus tard qu'il était fataliste, courageux, dévoué, renfermé, taiseux, dur à la tâche, infatigable, malpatient, touchant, distant.

L'élection de Mitterrand est passée sur eux sans plus d'enthousiasme, je me souviens de la figure du président socialiste se dessiner sur l'écran de la télé. Plus tard, j'ai compris que même aux municipales, mes parents ne votaient plus, une immense lassitude s'était emparée d'eux, ils s'étaient recroquevillés sur l'indifférence qu'eux et tant d'autres étaient l'objet de la politique.

Ils ont dû avoir quelques parenthèses heureuses, heureuses c'est-à-dire, allégées des soucis financiers. Ils n'ont jamais eu de voiture, mon père n'a jamais passé son permis de conduire, il avait sa Mobylette, ma mère et moi, nos jambes qui nous emmenaient partout dans Vierzon, parfois loin. Pas de vacances, sauf celles que mon oncle, chef boucher à Monoprix m'offrait avec ma cousine. Et quelques séjours chez ma tante, à Cléry-Saint-André avec mes autres cousines.

Mon père était un prolo, ma mère était au foyer. J'ai bavé tout un été devant un vélo dans la vitrine de chez Verneuil, rue Voltaire. Ma mère me l'avait promis, je ne l'ai jamais eu. Mais j'ai le souvenir de ce petit vélo rouge sur lequel ma mère m'a appris à tenir sur deux roues et avec lequel je longeais le Cher pour retrouver le jardin de mon père à l'Abricot.

C'est là d'où je viens. Alors comme je lis certains commentaires sur mes opinions politiques, je ne peux m'empêcher d'être heureux des parents que j'ai eues. Et des convictions encore ancrées en moi qu'ils m'ont inculquées.

#monvierzon

R.B

Mon père était un prolo, ma mère était au foyer. J'ai grandi entre les sacoches de la Mobylette de mon père et les tics de ma mère dont le sommeil était miné par une arithmétique mentale à l'issue toujours incertaine. Un peu plus tard, Coluche résuma le mieux du monde ce qui tracassait ma mère : "à la maison, le plus difficile c'était la fin du mois, surtout les trente derniers jours." Mon père gagnait le pas assez d'argent, ma mère le gérait, elle gérait la pénurie et je la surprenais à parler, seule, à mâcher je ne sais quel souci de l'instant, à retourner les soustractions dans tous les sens quand les additions fuyaient ses savants calculs. Mon père ne prélevait de sa paye qu'il disait "rapporter" à ma mère, que de quoi garnir le fond de son petit porte-monnaie. Je crois bien que c'est ma mère qui lui achetait ses Gauloises qu'il fumait comme d'autres se plongent dans une réflexion philosophique. J'allais chercher le vin de table, un Caravelle cinq étoiles qu'à la fin de sa vie, il noyait d'eau. C'est finalement mon père qui se fit opérer à l'hôpital de Vierzon, d'un ulcère à l'estomac si avancé qu'il en fut amputé de son organe digestif et au passage, la rate fut du voyage. Déjà épais comme une allumette, mon père n'a jamais regagné quelques kilos que ce soit. Au crépuscule de sa vie, quand j'ai ouvert la porte de sa chambre, en Ehpad, et qu'il était tombé de son lit, recroquevillé comme un sac d'homme, je l'ai moi même pris dans mes bras, plume de père qui ne pesait que l'air qu'il respirait. Mon père était un prolo, ma mère était au foyer. Ils étaient de gauche, d'une gauche silencieuse, sans fracas ni vociférations. Ils votaient communiste aux élections municipales car à Vierzon, le communisme était une évidence. Je n'ai jamais surpris, entre eux, une conversation politique. Ils devaient voter par réflexe, et de toute façon, leur modeste condition les empêchait d'être autrement. Meme lorsque mon père a occupé son Usine, la LBM, pendant plusieurs mois, j'avais été concisément mis à l'abri de l'argent qui manquait férocement. Ma mère devait rêver d'une autre vie, sans aucune grandiloquence, juste plus confortable. Mon père n'avait pas le temps de rêver, en a-t-il eu l'envie ? L'Usine l'occupait à heures fixes, le jardin grignotait le reste de son temps, j'ai compris plus tard qu'il était fataliste, courageux, dévoué, renfermé, taiseux, dur à la tâche, infatigable, malpatient, touchant, distant. L'élection de Mitterrand est passée sur eux sans plus d'enthousiasme, je me souviens de la figure du président socialiste se dessiner sur l'écran de la télé. Plus tard, j'ai compris que même aux municipales, mes parents ne votaient plus, une immense lassitude s'était emparée d'eux, ils s'étaient recroquevillés sur l'indifférence qu'eux et tant d'autres étaient l'objet de la politique. Ils ont dû avoir quelques parenthèses heureuses, heureuses c'est-à-dire, allégées des soucis financiers. Ils n'ont jamais eu de voiture, mon père n'a jamais passé son permis de conduire, il avait sa Mobylette, ma mère et moi, nos jambes qui nous emmenaient partout dans Vierzon, parfois loin. Pas de vacances, sauf celles que mon oncle, chef boucher à Monoprix m'offrait avec ma cousine. Et quelques séjours chez ma tante, à Cléry-Saint-André avec mes autres cousines. Mon père était un prolo, ma mère était au foyer. J'ai bavé tout un été devant un vélo dans la vitrine de chez Verneuil, rue Voltaire. Ma mère me l'avait promis, je ne l'ai jamais eu. Mais j'ai le souvenir de ce petit vélo rouge sur lequel ma mère m'a appris à tenir sur deux roues et avec lequel je longeais le Cher pour retrouver le jardin de mon père à l'Abricot. C'est là d'où je viens. Alors comme je lis certains commentaires sur mes opinions politiques, je ne peux m'empêcher d'être heureux des parents que j'ai eues. Et des convictions encore ancrées en moi qu'ils m'ont inculquées. #monvierzon R.B
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