Blottie autour de son château, sur les hauteurs de la ville, Vierzon a d'abord vécu entre ses remparts avant de serpenter dans ses faubourgs, agglutinés autour des principales voies de communication. Elle s'est étendue au gré des circonstances naturelles et économiques, blotties contre les parois de sa vaste forêt et de ses rivières, d'une part, et d'autre part, contre la joue de son canal et de sa gare ferroviaire.
Les faubourgs cernent Vierzon-Ville, réunis dans Vierzon-Villages. La soif d'indépendance fait éclater Villages en trois communes distinctes et en 1937, lorsque le grand Vierzon recoud toutes ses parties éparpillées, la ville n'a pas un nombre d'habitants proportionnel à sa nouvelle superficie. Aujourd'hui encore, les 27.495 habitants (chiffres : 2008) s'ébattent sur un territoire équivalent à peu près à ... 100.000 habitants.
La preuve : Vierzon et ses 27.000 habitants possèdent une superficie (74 kilomètres carrés) plus grande que celle de Bourges (68 kilomètres carrés) avec ses 69.000 habitants. Vierzon est un camembert découpé en quatre portions. Chacune représente l'équivalent des ex-communes qui, rassemblées en 1937, sont devenues les quartiers naturels de la cité. La ville n'a eu de cesse de vouloir grandir encore et toujours. Ogre urbain doté d'un gros appétit d'habitants, seule recette valable pour prétendre grossir.
Le pic d'habitants est atteint en 1975 avec 35.699 habitants. En gros, Vierzon s'enorgueillit d'être une ville de 36.000 habitants. Elle n'a pas cessé d'étoffer ses effectifs : plus de 28.000 en 1954; plus de 31.000 en 1962; plus de 33.000 en 1968 jusqu'à frôler les 36.000 en 1975. Dès lors, les habitants désertent et leur nombre passe sous la barre symbolique des 30.000 en 1999. Un coup de tonnerre démographique. 2020 : la ville compte moins de 26.000 habitants...
50.000 habitants
Pourtant, la prospérité économique d'une ville devenue industrielle, permet d'échafauder n'importe quel plan sur la comète. Dès les années 1950, le frémissement de la grandeur agite les narines de la municipalité. En 1958, tout est dit dans un article de presse qui évoque le projet d'aménagement du canal de Berry, déclassé plusieurs années auparavant. La voie d'eau a fait son temps. Elle passe en centre-ville et son inutilité couplée à son insalubrité précipitent sa fin : le canal sera bouché. Et pourquoi le sera-t-il ? “Dans une vingtaine d'années, Vierzon peut être une ville de 50.000 habitants.”
La place ainsi gagnée servira à imposer des aménagements décisifs. Maurice Caron, maire de l'époque, a signé cette déclaration que le futur rendra purement hasardeuse. Toutefois, le chroniqueur de l'époque effleure l'idée d'une éventuelle “utopie” dont il se refuse toutefois, eu égard au respect du au maire... : “Vierzon qui a fait un très gros effort en faveur de la construction voit chaque année, sortir de terre, des constructions nouvelles qui permettent à des personnes habitant l'extérieur mais dont le travail est à Vierzon de se loger convenablement et d'être sur le lieu de leur travail”. Dans la presse, en 1956, un autre article affiche clairement les ambitions : “Vierzon est une grande ville et veut le prouver”. Tout est dit.
Il est temps d'offrir aux nouveaux habitants, en dehors du gîte, la possibilité de mieux circuler, de mieux stationner, de mieux se réunir. Sauf que cette boulimie immobilière ne sert pas seulement à loger les voisins pour les fixer à Vierzon. Les années d'après-guerre sont difficiles. En 1950, deux mille familles sont toujours sans abri. Des baraquements de fortune ont poussé place de l'Abattoir, à Villages, aux Forges, au Chalet de la Forêt, dans le passage Proudhon. En 1963, cinq ans après l'article, douze baraquements qui abritent 48 familles subsistent encore.
Du coup, les terrains libres se hérissent de cités : celle du Désert en 1951 (1000 demandes !) et la même année la cité Louise-Michel, la cité de Puits-Berteau l'année suivante, la cité Henri-Sellier entre 1953 et 1955, la cité d'urgence dite Abbé-Pierre, au Verdun en 1954, la cité du Bourdoiseau en 1955, la cité de relogement en 1957 et celle de Gustave-Flourens en 1958.
Les cités sortent de terre
Sur d'anciennes vignes, au Clos-du-Roy, un projet de construction de logements de masse pointe le bout de son nez. Le logement est une bataille. Et la courbe démographique donne raison aux bâtisseurs. Une première salve de logements garnit la décennie de l'après-guerre. Là où il n'y avait rien, il y a désormais des bâtiments, des rues, des quartiers entiers. En 1964, le bulletin municipal barre deux pages de ce titre inquiétant : “le logement : problème angoissant.” Angoissant parce qu'il faut des crédits.
Six cents demandes restent à satisfaire. La décennie 60 accèlère la cadence : 320 logements à la cité du Colombier, le quartier du Tunnel-Château en accueille 99; la cité Sellier termine son programme. En 1966, le Clos-du-Roy frappe un grand coup : 3.000 logements à venir. La ville s'hérisse de hauts bâtiments. Désormais, l'église Notre-Dame et le Beffroi sont concurrencés par des immeubles de logements sociaux. Le paysage est moderne. On parle de “chantiers de masse”.
La ville s'étire. Et ses réseaux avec, forcément. Il faut amener l'eau, l'assainissement, l'évacuation des eaux pluviales, créer des voiries, des trottoirs. Le béton a bonne presse. L'immobilier remplit les vides. Et rend des familles heureuses avec le confort d'une salle de bains.
En novembre 1970, un édito du bulletin municipal annonce la couleur : “Sa courbe géographique (de Vierzon) fait prévoir une augmentation de près d'un millier d'habitants par an dans les prochaines années. Un tel chiffre exigera bien entendu à la fois le maintien de l'activité économique et de nouvelles et importantes possibilités de logements. Dans ce sens, la création de l'importante cité de Chaillot par “l'abri familial” sera certainement très bénéfique.”
Plus de logements sociaux à la pelle, ce coup-ci, mais une accession à la propriété à bon prix. Là encore, la vaste plaine de Chaillot se hérisse de pavillons construits en un temps record (jusqu'à trois par jour pour contenir les coûts de fabrication). Vierzon croit dur comme fer à cet “accroissement démographique” qui exige non seulement des logements, mais des structures scolaires, culturelles, sportives correspondantes. Cinq ans plus tard, le recensement offre des certitudes à la municipalité que sa politique est la bonne : 35.699 habitants. Le crédo : se développer.
27.000 habitants
En 1975, justement, le plan d'occupation des sols pour aménager Vierzon, trace les grandes lignes de l'avenir. Et déjà, elle pointe un souci : “Vierzon, ville de 37.000 habitants assume des charges de voiries et de réseaux égales à celles d'une ville de 100.000 habitants ou plus.” Le chapitre 2 est intéressant : “développer Vierzons sans l'étendre”. Il faut “constituer un vrai centre-ville”, et “développer les zones d'emploi.” A la fin de 1976, Chaillot compte trois mille habitants dans 613 maisons. C'est le summum. Le nouveau quartier marque la décennie 70. Celle d'après n'est pas avare non plus de constructions. Face à Chaillot, un autre nouveau quartier, les Crêles, 140 habitations inauguées en 1982. Suivent la résidence du Moulin de Grossous, la résidence Paul Eluard, de la Poste.
La démolition de l'usine Larchevêque laisse la place à l'ilôt du même nom (106 logements). Seulement, le recensement de 1982 met un frein aux ambitions. La ville commence à perdre des habitants. Les raisons sont, entre autres, économiques. Le vieux quartier n'échappe pas la modernisation: création de rues piétonnes, logements rénovés à grande échelle.
La décennie 80 prépare un grand changement en centre-ville : la création d'un “vrai” centre que Vierzon réclame depuis 1937, à travers la création du Forum République. Un ensemble de commerces construit sur le canal busé. La greffe prend mal. Ce centre est artificiel. Dans l'enfilade, une nouvelle Poste, des logements. Sur le sillon du canal, l'urbanisation rejoint l'écluse de Grossous.
En 1990, patatra, nouvelle baisse de la population : 32.000 habitants. Les cités (Sellier, Colombier, Clos-du-Roy) sont devenues les quartiers dits “sensibles”, trop hauts, trop de vacances. Ils sont l'objet d'un plan drastique de démolition. Parmi les élus figure un ex-patron d'une entreprise de bâtiment : il a construit les logements qu'il fait alors démolir...
Le départ des habitants se lit à présent dans l'urbanisme. Symbole fort : une école, Paul Langevin, est complètement désaffectée et transformée en centre associatif. En 1999, le choc est rude : moins de 30.000 habitants et la courbe continue de mordre la poussière, 28.000 en 2006, 27.723 en 2007, 27.495 en 2008. Des pavillons remplacent les immeubles de Sellier et du Clos du Roy. Vierzon court après ses habitants. D'abord endiguer la perte. Et repartir à la hausse. Peut-être... Nous sommes moins de 26.000 habitants.