Depuis le début de la grève illimitée de l'intersyndicale de l'hôpital de Vierzon, le 11 juin, leur parole est rare, celle des médecins du centre hospitalier de Vierzon. C'est pourquoi, Vierzonitude a tendu le clavier à Alain Essayan, médecin de l'hôpital, qui, précise-t-il, n’a "aucune fonction représentative au sein du centre hospitalier de Vierzon.
Il s’exprime "à titre purement personnel. Ce que j’écris n’engage que moi." Il explique, avec son expertise, ce que devrait être l'hôpital et son projet médical. Ses réponses ne plairont évidemment pas à tout le monde :
comment convaincre que ce n’est pas le nombre de lits qui définit la performance d’un hôpital ? en fait partie.
Mais aussi, pourquoi une majorité claire de Vierzonnais se font opérer (pour des actes qui peuvent être pratiqués à Vierzon) en dehors de Vierzon ?
La communauté médicale, et vous-même, soutenez-vous les actions et la grève illimitée de l'intersyndicale ?
Je ne peux pas répondre au nom de la communauté médicale mais il est clair que mes collègues et moi-même partageons le souci des syndicats d’avoir un hôpital moderne, fidèle à son bassin de population, lui offrant tous les services possibles d’un hôpital de proximité. Personnellement, je n’adhère pas à la méthode de la grève illimitée.
L'agence régionale de santé du Centre-de-Val-de-Loire réclame un autre projet médical. Or, il en existe déjà un pour la période 2016-2020 que vous avez co-signé. Pourquoi pensez-vous qu'il faille un nouveau projet médical ?
Lorsque la directrice de l’Agence a rendu visite à l’hôpital et qu’elle a rencontré les médecins, elle nous a lancé une interpellation qui, à mon avis, devrait guider notre projet et que je considère comme un défi à relever. Elle ne nous a pas demandé de renoncer au projet déjà présenté mais de dire comment l’hôpital prend en compte son environnement.
La première réalité est celle du vieillissement. Nous continuons de soigner les personnes âgées, fragiles, avec la même approche que s’il s’agissait d’adultes de 50 ou de 60 ans. Nous les accueillons (et ce n’est la faute de personne, mais c’est de notre responsabilité de changer les choses maintenant que le défi nous est lancé), dans le service des urgences alors que, très souvent, leur état nécessite un accueil plus adapté. Nous leur faisons passer des examens de sang, des radiographies, des scanners, des gaz du sang… qui provoquent un séjour prolongé dans le service alors que, très souvent, une approche clinique suffit en premier, suivie d’examens qui peuvent être pratiqués une fois qu’ils sont installés dans le service de médecine qui va les héberger. Nous leur donnons des médicaments souvent futiles et qui ne changeront pas fondamentalement leur état de santé. Nous les faisons sortir sans préparer suffisamment le terrain pour qu’ils ne reviennent pas très vite. Quelles sont les principales causes de ces comportements médicaux ?
La deuxième est celle de la précarité de notre patientèle. Les pédiatres et les gynécologues s’accordent sur un minimum de 60 à 70% de proportion de personnes en situation de précarité qu’ils reçoivent. Le défi, pour l’hôpital, qui, par la mutation qui lui a été imposée, est menacé de perdre son « hospitalité » sous prétexte d’une technicité plus performante, est de garantir à ces personnes une approche non seulement curative, mais aussi préventive, au long cours, en liaison étroite avec les acteurs de la ville qui les accompagnent. Nous constatons qu’un travailleur social, aujourd’hui, peut être occupé à temps plein rien que les secteurs de maternité et de pédiatrie.
La troisième réalité est celle, bien entendu, de la désertification médicale, contre laquelle personne ne dispose de solution miracle. Dabord nous sommes amenés à prendre acte que bon nombre des patients qui se présentent aux urgences, le font par besoin de consultation médicale. Ensuite, nous devons nous déterminer par rapport à ce fait : ou bien nous nous disons : « les consultations de médecine générale, ce n’est pas ma juridiction » ou bien nous prenons à bras-le-corps ce problème en nous organisant pour les faire bénéficier de consultations adaptées, dans des locaux adaptés à l’attente.
Nous pouvons toujours nous dire : « il y a une maison de santé pour ces malades » mais nous voyons bien que ce dispositif est insuffisant.
Or, nous disposons d’atouts valables pour faire face à ces défis : une culture bien ancrée de l’approche globale des patients, des médecins volontaires et du personnel compétent et même expert. Prenons l’exemple des insuffisants respiratoires chroniques, des insuffisants cardiaques chroniques, des patients diabétiques, des patients sous chimiothérapie… La plupart de ces personnes peuvent être suivies par des infirmiers de pratique avancée, une fois qu’un plan de soin est établi par le spécialiste. L’infirmier assure la surveillance des prises des médicaments, le respect du calendrier des examens, l’éducation thérapeutique du patient, le dépistage des signes d’alerte qui justifient une consultation urgente.
Nous devons aussi inventer une nouvelle manière de pratiquer les consultations externes.
Plusieurs spécialistes témoignent que la présence d’un infirmier, lors de leurs plages de consultations, peut doubler le nombre de celles-ci. Bref, ce qui, selon moi, est motivant dans ces défis, c’est le besoin d’innover dans des approches pragmatiques, souvent hors des sentiers battus.
articulant toutes les composantes : soins infirmiers à domicile, hospitalisation à domicile, EHPAD, CCAS, associations d’aide au maintien à domicile, acteurs libéraux…
Prenons un exemple : nous pouvons dire que nous œuvrons pour réduire la durée de séjour de nos patients âgés (et il faut la réduire parce que l’hospitalisation longue constitue un risque majeur de perte d’autonomie pour eux). Mais nous ne pouvons pas y arriver seuls !
Si les soins à domicile sont saturés, si le CCAS réclame un délai de cinq jours pour mettre ou remettre en route ses interventions, si la mise en place du portage de repas demande un délai qui se compte en jours… notre objectif ne sera pas réalisable.
Prenons un autre exemple : une aide-soignante d’EHPAD se retrouve seule, le soir, devant un pensionnaire âgé fragile qui tousse et qui a de la fièvre. Son premier réflexe est d’appeler le Centre 15 : elle ne dispose, en effet, aujourd’hui, d’aucune alternative sans engager injustement sa responsabilité. Le Centre 15, pour des raisons variées, lui envoie une ambulance. Le pensionnaire arrive aux urgences où il risque d’attendre quelques heures avant d’être examiné et, entre 5 et 23 heures, parfois plus, avant d’être hospitalisé.
Des examens complémentaires vont être faits, des perfusions posées, des antibiotiques injectables administrés, de nouvelles perfusions posées parce que les anciennes sont arrachées par mégarde ou pour d’autres raisons, de nouveaux examens de sang refaits…
Nous pouvons raisonnablement estimer, au plus bas, à 300 le nombre de séjours identiques, ce qui permet de calculer des recettes annuelles de plus d’un million d’euros. Nous pouvons, de ce fait, bâtir un projet médical rentable qui dit qu’il faut bien accueillir les pensionnaires d’EHPAD. Mais il existe une réserve majeure : c’est que des études, faites sur des milliers de personnes âgées fragiles et publiées dans la littérature médicale, montrent qu’il n’y a aucune différence significative entre le fait de soigner leur infection respiratoire à l’hôpital ou à l’EHPAD, en termes de morbidité (c’est-à-dire de complications) et de mortalité.
D’où un scénario alternatif : au lieu que l’aide-soignante appelle le Centre 15, elle appelle une infirmière de pratique avancée en gériatrie aigüe, qui travaille avec un médecin. Cette dernière se déplace, voit le pensionnaire et appelle le médecin en lui disant que la tension est bonne que la fièvre est modérée. Ensemble, ils proposent de le soigner à l’EHPAD par des perfusions sous-cutanées, moins invasives que les intraveineuses chères au personnel hospitalier, et par des antibiotiques buvables ou injectables par voie sous-cutanée.
Coût de l’opération : 500 € maximum. Bénéfice pour le pensionnaire : il reste dans son milieu, il est soigné par le personnel qui connaît le mieux ses habitudes, sans acharnement par des gestes futiles… Alors, l’hôpital peut-il faire son projet, tout seul, dans le déni de ces réalités ? Ne vaut-il pas mieux que l’argent aille vers cette coopération pour le bien du pensionnaire ? Mais comment faire ? Comment financer cette infirmière de pratiques avancées et le temps de ce médecin ?
Voilà donc quelques raisons pour lesquelles il est intéressant que le projet médical soit remis à jour. Ce que je décris n’est pas propre à la réalité vierzonnaise. Mais le crois que le CH Vierzon, comme acteur et promoteur de santé dans son bassin, peut être innovant dans ce domaine.
Le projet qui est en train de s'écrire répond-il à des directives de l'Agence régionale de santé ou ses rédacteurs sont-ils vraiment indépendants ?
L’Agence, comme nous, est soumise aux mêmes défis. Si contrainte il y a, elle s’impose à l’Agence comme à nous. Il y a, certes, un impératif économique, qui pousse à équilibrer, autant que possible, recettes et dépenses. Mais cela ne me choque pas. Les choses peuvent être formulées autrement : une médecine dépensière n’est pas forcément une médecine de qualité. Au contraire, nous pouvons développer une médecine de qualité et de bonne économie, au sens propre.
Dans le précédent projet médical, on parlait de la rénovation du bloc opératoire ? Pourquoi est-ce si compliqué ?
Je ne le sais pas dans les détails. Mais il est clair que le besoin de rénovation du bloc ne date pas d’aujourd’hui. Je n’adhère pas à l’idée qu’il faille rénover pour rénover. Pour savoir quoi et comment rénover, le financeur a besoin de s’appuyer sur un projet.
Cette question, dérangeante pour nous tous, interpelle notre fonctionnement, à tout niveau. Il y a des domaines de compétence que nos chirurgiens ont déjà défini et d’autres domaines où ils travaillent avec des spécialistes pointus d’autres centres hospitaliers où ils dirigent leurs patients.
D'autant que le sort de la maternité, dépend du bloc opératoire... Et donc d'un certain nombre de médecins et de personnels. Dans le futur projet médical, que devient la maternité, le bloc, le service chirurgie, le laboratoire ?
Dans le projet déjà présenté, il n’est pas mentionné de changements de l’offre de soins pour les femmes enceintes ni pour les enfants. Le défi pour la maternité, selon moi, est d’assurer, par du personnel médical suffisant, la sécurité et des soins de qualité. Cela n’empêche pas, et ce n’est aucunement une offense pour notre hôpital, de travailler sur un plan concret de transferts des femmes enceintes si jamais la permanence des soins, de façon imprévue, n’était pas assurée.
Le laboratoire suit l’évolution naturelle de l’ensemble des laboratoires de France qui sont de plus en plus réduits en nombre, ceux qui restent étant de plus en plus développés et performants. Quel est l’enjeu ? Il est simplement d’accéder aux résultats des analyses d’un patient le plus vite possible, d’une manière fiable et confidentielle. Les progrès de l’informatique le permettent et tous les hôpitaux sont désormais engagés dans cette voie.
L'hôpital de Vierzon a réalisé plus de trente millions d'euros de travaux depuis 2004, sans pratiquement aucune aide de l'agence régionale de santé ? Est-ce normal ?
Je ne possède pas l’expertise qui permet de répondre à cette question. Mais sur quel constat pouvons- nous être en accord, quelles que soient nos opinions ? C’est sur le constat que cette rénovation est bénéfique pour les pensionnaires de l’EHPAD dont elle a changé, et même bouleversé, l’image, de façon positive ; qu’elle est bénéfique pour les patients admis en soins de suite et dont les retours sont élogieux. Et cet aspect bénéfique s’inscrit dans la durée. Des personnes qui possèdent l’expertise nécessaire peuvent déplorer la manière dont le processus de rénovation s’est déroulé. Cela ne doit pas empêcher d’en reconnaître les bienfaits sur les patients.
Le recrutement de médecins pose problème à Vierzon, mais aussi à Bourges, on le voit avec les urgences. Pourquoi les médecins ne veulent-ils pas venir ?
Je crois que les raisons sont complexes. Il y a, incontestablement, et je le dis pour l’avoir entendu d’un certain nombre de médecins venus en visite, une part d’« image », de la ville ; pour certains, cependant, la localisation centrale de la ville a été raison de venir ; il y a aussi une part d’attente d’un projet porteur qui emporte une adhésion chez les candidats potentiels.
On entend beaucoup l'intersyndicale de l'hôpital, les agents, mais très peu de médecins. Est-ce par pudeur, refus de s'engager ?
Je ne peux pas m’exprimer au nom des médecins. Je pense que nous sommes d’une génération où se mêlent individualisme et dévouement, distance par rapport à des actions collectives et recherche d’efficacité, dans un but partagé, par l’investissement personnel. Les médecins ont toujours agi dans la discrétion, ce qui peut paraître incompréhensible dans un monde où la transparence semble une valeur absolue. Je m’attends, toutefois, à ce que les jeunes générations de médecins réagissent différemment.
Vous êtes le mari de la députée de la circonscription de Vierzon qui n’a pas bonne presse auprès de l’intersyndicale, comment vivez-vous cela ?
Médecin et citoyen, je me réjouis de la démarche unitaire des syndicats. Je note cependant un manque d’information précise de la population. Certaines personnes sont maintenant persuadées que la maternité va fermer et se dirigent vers d’autres établissements. D’autres disent qu’ils ont appris la fermeture de l’hôpital… Par ailleurs, je ne partage pas la thèse de tel syndicat qui clame qu’avec ou sans projet, l’Agence fera ce qu’elle voudra. Avec ce discours, la mobilisation pour un projet médical fort et crédible a risqué de passer au second plan.
La bonne presse auprès de l’intersyndicale n’est donc pas une quête absolue. Cela dit, je connais les motivations de la députée. Ce ne sont ni la gloriole ni les enjeux électoralistes personnels ou collectifs. Je connais aussi l’intensité et la persévérance de son investissement pour l’hôpital. Ses actions sont transparentes et peuvent être consultées par l’intersyndicale, si les syndicats le veulent. Si la députée n’a pas bonne presse, c’est un problème pour l’intersyndicale.
A votre avis que faut-il pour que l’hôpital fonctionne normalement ?
Nous sommes un petit hôpital et nous ne pouvons exister si nous ne sommes pas animés par une ambition.
Pour que l’hôpital fonctionne normalement, il faut d’abord qu’il reste en dialogue régulier :
- avec les tutelles ; qu’il y ait une tension entre la vision et les attentes de l’Agence et celles de l’hôpital est dans l’ordre des choses; nous devons œuvrer pour que cette tension nous fasse avancer tous les deux : l’hôpital, en étant plus attentif à la qualité de sa gestion quotidienne et l’Agence en étant plus sensibilisée aux besoins de notre bassin de population
- avec la ville, pour les raisons évoquées plus haut, par le biais d’actions communes formalisées et évaluées avec l’aide de l’Agence ou de sa délégation territoriale
- avec les hôpitaux de référence et d’expertise pour que nos patients bénéficient d’un prise en charge optimale
Il faut qu’il fasse vivre et dialoguer trois pouvoirs en son sein :
- l’administratif
- le soignant, c’est-à-dire, un pouvoir infirmier autonome
- le médical,
chacun apportant sa contribution, ce qui signifie qu’il faut organiser des pouvoirs et des contre-pouvoirs
Il faut qu’il fasse vivre ses Pôles avec des équipes efficaces, ayant reçu de réelles délégations de pouvoir, dans le respect du principe de subsidiarité ; des équipes qui évaluent régulièrement l’activité de leur Pôle, ses difficultés, qui remettent à jour leurs projets
Il faut qu’il puisse exporter, d’une manière qui reste à inventer, son expertise vers les EHPAD et le domicile et ne pas prétendre être la seule réponse à tout
Comme pour toute entreprise, il faut que la plupart des personnels soient syndiqués
Il faut qu’il puisse évoluer, en permanence, en réponse aux défis lancés par son environnement, grâce à des données sociologiques et de santé publique fournies régulièrement
Il faut qu’il respecte strictement le droit fondamental de son personnel à la formation
et bien d’autres choses encore que je ne développe pas pour ne pas être trop long…