C'est un bâtiment rassurant, un repère géographique, immuable. Sa masse foncière reste planté fièrement dans le quartier des Ponts. L'hôtel Molière, comme le pont, comme la rue, comme l'école, n'accueille plus de voyageurs dans ses étages, ni de buveur de café au rez-de-chaussée. Tout ses attributs commerciaux ont disparu, à quelques détails près. Le garde-corps, au-dessus de la porte d'entrée est aujourd'hui en fer forgé. Il contient deux initiales : H et M pour Hôtel Molière.
Au-dessus de cette même fenêtre, il y a deux lettres enchâssées, gravées dans la pierre : F.D comme Fernand Doucet, le patron. La façade est pâlotte, en ce siècle, tout de blanc repeinte. C'est fade et triste finalement. Je me rappelle très bien de cet hôtel, il balisait mes parcours d'écolier jusqu'à l'école Charot et un passage éclair à l'école Molière. Au bout du pont, il y avait un trou dans lequel, chaque été, dormait un lézard et qu'on dérangeait toujours lorsque ma mère et moi franchissions cette étape.
Le café, à gauche, a longtemps subsisté avant de se faire avaler par la canicule bistrotière, combien de débits de boissons ont séché au soleil cuisant des disparitions. La rue des Ponts en est un triste exemple : l'Express, le café du Rocher, le bar de la Marine devenu la Tassée puis l'Eden... L'hôtel Molière a résisté tant qu'il a pu aux assauts du modernisme. Le bâtiment transpirait d'un charme désuet, quelque chose qu'on tente d'agripper pour ne pas qu'il s'échapperais qui s'échappe quand même.
Sur cette photo, une boue apparait en haut, étrange apparition sur la façade d'un établissement hôtelier. On pouvait y lire, Club nautique vierzonnais, le patron de l'hôtel en était le président. Il y avait rue du Champ-Anet, pas loin de la maison de mes parents, une Madame Doucet. Elle habitait en face de la rue de la piscine, toujours à sa fenêtre du premier étage de sa maison. Je la saluais à chaque fois que je passait devant chez elle. Avait elle un lien de parenté avec les Doucet de l'hôtel Molière ? J'ose y croire.
Cette autre photo, magnifique, a été prise à la terrasse du café de l'hôtel Molière. Le jeune homme, à gauche, avec le chien, je l'ai rencontré, un jour, ce devait être le fils du patron de l'hôtel, un gentil monsieur qui m'avait raconté l'histoire du club nautique, que son père dirigeait. Entre le chapeau mou et l'eau de Seltz dans des bouteilles à syphons, combien d'histoires se sont racontées, sur ce bout de trottoir ? Combien de vies, de personnes de toutes sortes s'y sont croisées ?
Aujourd'hui, face à la pâleur froide de l'immeuble, il m'arrive de m'arrêter un instant. Je pense à la photo, à ces gens à la fenêtre, à ces rideaux, à ces chambres, à celles et ceux qui, peut-être, à leurs fenêtres, m'ont vu trotter, main dans la main avec ma mère. J'ai toujours eu une tendresse particulière pour ce bâtiment, témoin intangible de mes années de gosses, d'ado, d'adulte.
Un repère dans le temps que même les bombardements sur Vierzon n'ont pas mis à terre. Reconstruit, l'hôtel Molière a continué sa route, jusqu'à la mienne. Il y a ainsi, des pierres qui pourraient témoigner, de tout ce qu'elles ont vu. La bâtisse a perdu son goût, son éclat, sa fonction. Mais je sais que son ombre continue de couler au-delà de ses propres frontières admissibles. Rien ne peut arrêter les souvenirs. Pas même le mauvais goût.
R.B.
Ce qu'il reste aujourd'hui