Quelque chose de doux, quelque chose de calme s'échappe de cette image. Est-ce l'insouciance du cycliste qui descend ? Ou de cette maman qui vient de traverser avec son enfant ? On la droiture, comme un I, du policier, à gauche avec son képi blanc qui surveille de carrefour. Il n'y a pas de passage piéton. Le haut bâtiment des chaussures Raymond veille sur le bas de la rue, vigie de pierre dont la masse a traversé le temps. Une agence immobilière a remplacé les chaussures, mais longtemps, le commerce a perduré jusqu'au bord de ce millénaire.
Quelque chose d'irréel tombe, comme une pluie fine, de cette photo. est-ce le fait de toucher du regard, un Vierzon à la fois si lointain mais si près, où forcément, les pas de quelques-uns et de quelques-unes que nous connaissions, sont imprimés sans pour autant qu'on puisse les voir. Mais ils sont là. Je me demande si mon père qui a quitté sa Normandie natale pour rejoindre Vierzon en 1937 (il avait neuf ans), a foulé les trottoirs de cette rue ? Est-ce que ma mère a vu, en vrai, ce que je vois, en carte postale ?
En plongeant le regard, on voit, à droite l'enseigne de l'Hôtel du Boeuf où Antoine de Saint-Exupéry s'est arrêté pour une nuit. Il a laissé sur le papier à en-tête de l'hôtel, des dessins de Vierzonnais qu'il avait croqués. La petite histoire qu'on oublie facilement.
A gauche, on aperçoit le tabac du Mail qui lui a résisté à toutes les époques jusqu'à aujourd'hui. Témoin sans faille d'un Vierzon criblé par les décennies. Et en face, qui tenait cette confiserie-alimentation ? Qui s'en souvient, si quelqu'un a pu enjamber cette époque jusqu'à la nôtre ?
L'air semble léger, c'est le printemps ou l'été, la ville est compacte, elle semble chaleureuse au-delà des problèmes de l'époque qui devaient évidemment exister. Les gens marchent, les gens roulent, les gens aspirent à arriver où ils veulent aller, dans le consentement de leur époque.
Et ce qui nous sépare d'eux, en dehors des couleurs absentes sur l'image, en dehors des préoccupations qui occupent forcément leurs têtes, c'est moins le temps mais la façon d'être dans cette ville que nous reconnaissons bien sûr et que nous ne reconnaissons pas totalement.
Tout semble si vivant, si évident. Oui voilà, c'est l'évidence qui nous frappe en fait, l'évidence d'une ville effervescente, l'évidence de ceux qui en faisaient partie et qui font aussi partie de nous. A y regarder d'encore plus près, les grands ensembles immobiliers ont persisté. Ah et la simplicité aussi, une singulière simplicité occupait les plis de cet instant figé.
Elle l'occupe encore. Et c'est ce qui rend l'image si onctueuse à nos yeux.
R.B.