Le cirque plante sa mémoire à Vierzon, pendant la seconde guerre mondiale. Peut-on parler de hasard ? Ou de destins croisés ? Aujourd'hui, un chapiteau permanent perce le ciel de la rue du Cavalier. Le cirque a mué en cabaret. L'immense enseigneNational Palace, vue des trains qui se croisent à la gare, a su imposer son image et les spectacles sont désormais très prisés. Il est loin le temps d'Amédée Ringenbach. Pourtant, le passé est soigneusement entretenu, comme une vertu, une valeur léguée aux générations qui écrivent le nouveau statut du National Palace, héritier direct du cirque National, lui-même issu du cirque des Alliés.
Amédée nait à Lyon en 1891, d'un père mécanicien. Autant dire que la lignée est tracée, dans l'absolu. Parce que dans les faits, quel démon de la piste a piqué Amédée ? Quelle drôle de fée de la balle s'est penchée sur son berceau pour lui faire courir dans le sang, un besoin singulier : la création d'un numéro de main à main, avec un ami. Pour l'instant, le lien avec Vierzon est encore invisible, imprévisible même. Le destin d'Amédée s'en rapproche pourtant lorsque, ayant tourné le dos définitivement à la mécanique, le cirque berruyer Bureau-Glasner l'embauche pour un simple remplacement. Le provisoire s'installe...
L'alchimie du cirque
Amédée trouve son compte dans son rôle d'avant-courrier. Il sillonne les villes pour annoncer l'arrivée du cirque. La liberté est un luxe. Une fois le destin forcé, tout s'enchaîne. Yolande Sturla, devient sa femme, en 1933. Elle est la fille d'Edouard Sturla et d'Hélène Ricono, une célèbre famille de cirque. Edouard Sturla monte avec ses trois soeurs un numéro de barriste. Marié à Hélène, il monte avec ses frères et beaux-frères un célèbre numéro équestre, baptisé Ricono Sturla, au Tower Circus, Crystal Palace de Londres, au cirque de Paris...
L'alchimie est complète, l'issue imparable : Amédée et Yolande crééent leur propre chapiteau, un deux mâts. En 1935, avec la famille Ricono, les époux Rinchenbach bâtissent le cirque des Alliés, prolongement naturel d'une piste accueillant des artistes de différents pays. Comme les autres cirques, celui des Alliés monte et démonte son chapiteau dans les petites et les moyennes villes. L'élan se brise sur le mur de la guerre. A Vannes, en 1939, les Allemands stoppent le cirque. Forcément, les occupants ne veulent pas entendre parler des Alliés, fussent-ils le patronyme d'un cirque. Sa survie en dépend. Avec un clin d'oeil malicieux, il prend alors le nom de National. Sans problème.
L'histoire se précipite. Elle se rapproche de Vierzon. Amédée arrive en ville, comme les comédiens de la chanson d'Aznavour. Il établit ses quartiers d'hiver dans la rue du Champ-Anet et stationne ses caravanes sur le quai du Bassin. C'est fait. Le sol vierzonnais a pris le goût du cirque. Il le garde.
En 1946, l'ancienne usine Brouhot, rue du Cavalier, tend son vide à la famille Ringenbach. La maison surplombe les voies ferrées. Les camions estampillés stationnent dans la rue. Le cirque occupe le paysage quotidien et c'est à partir de Vierzon, que les véhicules au gazogène sillonnent les routes de la région Centre. Le cirque National se taille la part du lion. En 1953, un chapiteau de trente-quatre mètres sur vingt montre la notoriété de l'entreprise.
La descendance s'appelle Janine, Anna (Nana) et Albert (Bébert), le troisième enfant. Le mimétisme est total, les enfants sont du cirque à leur tour. Janine débute à douze ans, acrobatie, saut, bascule, boules. Elle épouse un cycliste... de cirque, monte un numéro cycliste que s'arrache les scènes internationales. Ses enfants aussi ont choisi le même métier que leurs parents. Albert joue l'équilibriste, l'acrobate à cheval, le funambule, le dresseur de fauve. Anna, de son côté, épouse Sampion Bouglione, le directeur du cirque d'hiver de Paris.
La seconde ville du Cher possède ainsi dans ses filets, un arbre généalogique complexe. Aux Rinchenbach, résidents vierzonnais s'ajoutent les Ricono, les Taggiasco. En 1964, Amédée remise le cirque National. Mais l'histoire est en route. Les Rinchenbach ne quittent pas Vierzon, ni la rue du Cavalier. Les enfants d'Amédée ont à leur tour des enfants. Et le cirque devient aussi leur vie.
Le cirque devient cabaret
Albert arrive avec son père en 1939, à Vierzon, pour passer l'hiver avec le cirque. C'est la sentinelle, la vigie de la famille. Albert a épousé Bella, soeur d'Alexis Gruss. Et c'est dans la maison de la rue du Cavalier que se situe le centre du monde familial. En juin 1998, la ville de Vierzon donne le nom de Place du cirque National Amédée à un vaste parking qui reçoit habituellement les cirques. L'hommage est vibrant et semble-t-il, unique, souligne à cette époque, le directeur du cirque d'hiver de Paris.
Le destin rebondit. Si le cirque National est un souvenir, la famille Rinchenbach possède la richesse du métier. En novembre 2006, le cirque plane à nouveau, mais cette fois-ci de manière permanente, sur la rue du Cavalier. La famille monte son chapiteau et créé un cabaret, avec dîner spectacle : c'est la création du National Palace. Une idée d'Albert, une envie de regrouper, à Vierzon, tous les membres de sa famille au même endroit. Son fils Eddie et son gendre Sascha pilotent la direction. Sascha est un enfant de cirque aussi. Il est né au sein du grand cirque Rançy, alors en tournée en Norvège, mais sa famille est américaine.
A 12 ans, il quitte les Etats-Unis pour l'Europe. Et en 1997, il croise Isabelle Ringenbach qu'il épouse. Le chapiteau est une destination singulière. A Vierzon, les spectateurs trouvent un spectacle original, une famille unie et un cadre unique. En septembre 2011, le National Palace présente son nouveau spectacle, baptisé Désirs. Une revue haute en couleurs. Dans laquelle résonne les premiers échos du cirque des Alliés, du cirque National. Et d'une famille circassienne jusqu'au bout des ongles.