Elle s'appelait Juliette La Lison. Elle est arrivée à Vierzon, en 1982, pas sur des rails, mais sur un convoi exceptionnel. Elle a traversé la ville jusqu'à son promontoire, dans le quartier tout neuf des Crêles, face au quartier de Chaillot. Juliette, quelle drôle d'idée de donner un prénom à une locomotive !
La 140 C de 1916 mise au rebus devait bénéficier d'une autre vie, un autre destin, à nul autre pareil : servir de décor insolite à ce quartier paré de papillons en fer, un nouvel Eldorado d'habitation, inauguré en grande pompe, avec des couleurs vives.
Immobile, comme une grande fleur de métal peint comme le sera plus tard le pont de Toulouse, elle a, petit à petit, servi de terrain de jeu aux gamins du quartier. Comment se sont pris pour des cheminots, dans la cabine, à rouler sans aller bien loin. Mais les rêves, eux, n'ont pas besoin de roues pour avancer.
Juliette, tous feux tous flammes, était devenue la fierté de tout un îlot d'habitants. On lui avait collé des perches avec des paillons en métal au bout, ses roues étaient jaunes, ses flancs bleus. Une loco comme copine, quels mômes peut s'en vanter ?
Juliette a tenu fièrement son rôle pendant seize ans, mais le feu des débuts s'est éteint, les papillons ont fané, rouillé, le faste du quartier s'est délavé avec l'eau de pluie et le soleil. Juliette non plus n'a pas résisté aux assauts de l'extérieur, sans pitié sur sa carlingue. Il fallait s'en douter : la loco se tassait sur elle-même, ses couleurs ont passé comme celles du pont de Toulouse. Les mômes ont grandi et, sans méchanceté aucune de leur part, Juliette a morflé sous leurs semelles.
Comme un jouet, bien que géant, il n'a pas résisté. Surtout à la mode. Et qui croirait qu'une locomotive aux couleurs vives puissent réussir le pari de rendre la vie plus belle avec une constance toute ferroviaire (pas les horaires, la droiture des rails...)
Juliette, la copine, la pote, celle qui a vu toute une génération grandir, était devenue dangereuse. Rouillée jusqu'à la corde, Juliette était devenue un poids mort de plusieurs tonnes, enfoncée dans l'histoire d'un quartier. Indélogeable sur son promontoire. Quelle vie. Fabriquée en Angleterre en 1916, elle n'avait rien gardé de son accent.
Elle avait commencé sa vie à convoyer des canons sur le front de l'Est et elle agonisait au fin fond de Vierzon.
Elle a failli être vendue au prix de la ferraille mais, toute à sa chance, l'association "Chemin de fer des Hautes Falaises" à Fécamp en Seine Maritime, est venue la chercher, pour la sauver une nouvelle fois. Et retrouvée, bien plus tard, remisée au château de Saint-Fargeau dans l'Yonne.
Il reste son promontoire, aux Crêles et ce doux parfum d'utopie des années 1980 à Vierzon. Surtout, il reste les souvenirs qu'elle a semée dans la tête des enfants qui grimpaient sur sa carcasse, qui s'amusaient là, s'y donnaient rendez-vous, gravaient leurs initiales sur sa ferraille.
Vierzon aurait pu la garder, elle a fait un autre choix. Pourtant, paradoxalement, un musée de la locomotive à vapeur avait pu ouvrir ses portes grâce à l'ancien chef du dépôt de Vierzon Raymond Laumonier et sa fabuleuse collection. Paradoxe : pas de vraie loco dans ce musée alors que Juliette avait tissé un histoire intime avec cette ville.
R.B.
Cette photo, issue du bulletin municipal de Vierzon de mars 1986, représente des enfants qui sont sur la locomotive des Crêles.
Sur un film de ciclic, nous avons retrouvé des images de la loco des Crêles et de la cité des Crêles. Les photos en sont extraites.
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