Nouveau rendez-vous pour les lecteurs de Vierzonitude : les aventures presque vraies de Madame Faucille et de Monsieur Marteau. Aujourd'hui, Madame Faucille et Monsieur Marteau prennent le bus en grève.
Madame Faucille, debout sur un trottoir molletonné pour ne pas user les semelles de ses chaussures cousues main, admirait la dextérité d'un chauffeur de bus qui maniait son engin avec l'aisance d'un pouce et d'un index se refermant sur l'anse d'une tasse de thé.
Monsieur Marteau, le cerveau branché sur les mille et une façons de diversifier ses activités boursières et libérales, de préférence en bitcoins, sécurisés dans un portefeuille ad hoc fabriqué à deux pas de sa vaste propriété vierzonnaise, mais cachées sous le duvet d'un anticapitalisme de façade, pensait que les transports en commun allait être l'avenir de ses dividendes.
Madame Faucille que la curiosité attise comme un souffle d'air dans les braises d'une cheminée de maison de campagne se prit à avoir l'envie irrésistible de grimper dans le bus. Il faut bien une première fois à tout dont on aime se souvenir quand elle ne se reproduise pas trop souvent.
Monsieur Marteau oscillait entre l'électrique et le biogaz, qu'il mit alors dans la balance des profits, pour éclairer ses décisions. Il sut, à cet instant précis, que son intuition qui ne l'a jamais trahi, le ferait pencher pour le rachat de la société de bus de Vierzon au cul desquels il pourrait vendre quelques emplacements publicitaires onéreux et, à titre gracieux, participer à sa façon, au mécanisme d'une campagne électorale. Avoir des amis influents lui a toujours réussi.
Madame Faucille quitta son trottoir douillet et s'avança vers la plateforme d'un Vib dont les trois lettres l'intrigua, mais juste quelques instants, car elle dût, sur l'injonction du chauffeur, acheter un ticket et le composter, ce à quoi elle ne s'attendait pas, pensant que le transport était gratuit, tout comme est gratuit ce qu'elle possède et qu'elle n'achète pas elle-même.
Monsieur Marteau remplit le gros chèque et devint l'actionnaire majoritaire de la société de transport avant de s'apercevoir que depuis le mois de mai, les chauffeurs réchauffaient un mouvement social pour une augmentation de salaire. Vu le prix de la société, Monsieur Marteau, en bon homme de gauche qu'il est pour la conscience, et de droite quand il s'agit de passer à l'action, défendit qu'on augmentât d'un centime les déjà maigres salaires des chauffeurs.
Madame Faucille s'était assise derrière le conducteur et buvait ses gestes précis et amples tout en lâchant des exclamations d'admiration à chaque virage, chaque mouvement du bus dont la conduite relevait du miracle.
Monsieur Marteau resta ferme sur ses positions et gagna quelques points d'indice au CAC 40, ce qui le remplit alors d'un bonheur singulier, amplifié par cette satisfaction que les élus de gauche avec qui ils jouaient au bridge chaque jeudi, refusaient de prendre position pour les salariés qu'ils sont censés défendre et que le syndicat majoritaire avait attrapé une extinction de drapeaux rouges.
Madame Faucille, les yeux ronds comme des faïences de Gien, ne comprit pas de suite pourquoi le bus s'arrêta, sans repartir de nouveau. Le chauffeur en descendit et repartit à pied, obligeant Madame Faucille à héler son chauffeur pour qu'il la ramène au bercail sans savoir que les positions de son Monsieur Marteau de mari l'avaient plongé dans une inédite situation : elle sut plus tard le nom, une grève.
Monsieur Marteau jura ses grands dieux de gauche qu'un tel affront à son épouse de Madame Faucille ne devait pas se reproduire. Il laissa pourrir le mouvement tout en continuant d'engranger de substantiels profits. C'est ainsi que le mouvement dure depuis six mois.
Voilà comment Madame Faucille et Monsieur Marteau prennent le bus en grève.