On a pleuré, et puis après….
On va ranger nos larmes, pour la prochaine fois,
Et choisir d’autres mots, les nôtres sont usés,
Ils sortent trop souvent dans la rue et leurs voix,
Semblent déjà, dans l’air, être très fatiguées.
A force d’être écrits dans des slogans rageurs,
Ou posés doucement pour chanter la raison,
A force d’imprimer le silence intérieur
Une faiblesse gagne jusqu’à leur partition.
Pourtant, ils sont sincères, ils sont criés souvent,
Ils ont, tout au fond d’eux, cette volonté fraîche
De vouloir infléchir la violence du vent
Qui les éteint dès qu’ils allument une flammèche.
A croire que les mots, qu’on aiguise de deuil,
Qu’on taille dans le bois de nos chagrins immenses,
Qu’on érige en barreaux, qu’on hisse avec des treuils,
N’ont pas la force requise contre l’outrance.
A croire qu’il leur manque les actes décisifs
Pour qu’ils pèsent enfin, dans la douleur des foules,
Et ne s’envolent plus, brisés sur les récifs,
D’un nouvel acte odieux, d’une tête qui roule.
Une fois prononcé, dans cet épais malaise,
Qui nous lie, coude à coude, à piétiner le sol,
Pour montrer qu’on ne peut pas du haut de nos chaises,
Agir contre la tentation du formol,
Nos verbes écorchés retombent aussitôt,
Qu’ils ont montré l’ardeur de leur force à agir,
Ce n’est pas faute de les dire avec brio
Mais à quoi servent-ils, il faut en convenir ?
Nous sous sommes quittés, sur des papillons noirs
Qui volent dans nos cœurs à nous les déflagrer,
Seulement, qu’avons-nous, d’individuels espoirs
A faire que demain, tout puisse enfin changer ?
Nous avons ressenti, le torrent d’être ensemble,
Le silence qui crie la laideur indicible,
La bile qui étouffe ce qui nous rassemble
Mais après, tous nos mots, sont-ils encore audibles ?
Car une fois rentrés, calés dans nos bergères,
Le plaid du quotidien sur nos jambes d’automne,
Que pouvons-nous combattre, de nos bases arrière
Si ce n’est cette peur instable qui résonne ?
Et devant nos écrans d’infos en continu,
Remplis d’initiative, et de force et d’audace,
Il sera toujours temps, face au mal revenu,
De sortir dans la rue pour croire qu’on fait face.
Mais qu’aurons-nous construit, sur les cris de la veille,
Qu’aurons-nous érigé comme autre pare-feu
Que celui de se dire, il faut qu’on se réveille,
C’est l’impuissance qui est le plus douloureux.
En hommage à ce qui nous reste encore et qui se dissout... Jusqu'à ce que...
Il n’y a plus de traits, ils ont tué les crayons,
Il n’y a plus de mots, ils ont étouffé l’encre,
Il n’y a plus de verbe, ils ont tué l’expression,
Il n’y a plus de vague, la mer a jeté l’ancre.
Il n’y a plus de rire, ils ont tué la joie,
Il n’y a plus de regard, ils ont tué les yeux,
Il n’y a plus de chants, ils ont tué la voix,
Il n’y a plus qu’un long discours silencieux.
Il n’y a plus de route, ils ont tué le sens,
Il n’y a plus d’été, ils ont tué la chaleur,
Il n’y a plus de vrai, ils ont tué la conscience,
Il n’y a plus qu’une ombre creuse et sans valeur.
Il n’y a plus de temps, ils ont tué la pendule,
Il n’y a plus de saisons, il ont tué le désir
Il n’y a plus d’air frais, ils l’ont mis en cellule,
Il n’y a plus même plus le parti de choisir.
Il n’y a plus de pas, ils ont tué la marche,
Il n’y a plus de jaune, ils ont tué les pigments,
Il n’y a plus de ponts, ils ont tué les arches
Il n’y a même plus le moindre compliment.
Il n’y a plus de clefs, ils ont tué les serrures,
Il n’y a plus de lois, ils ont tué les principes,
Il n’y a plus de toile, ils ont tué la peinture,
Il n’y a plus de jeux, ils on,t tué les équipes.
Il n’y a plus de plaisir, ils ont tué la gêne,
Il n’y a plus de surprise, ils ont tué les cadeaux,
Il n’y a plus de forêt, ils ont tué les chênes,
Il n’y a plus de lit, ils ont tué les ruisseaux.
Il n’y a plus d’après, ils ont tué demain,
Et tout a commencé, j’ai cela en mémoire,
Par le refus de ce qu’on nommait un dessin,
Après tout est devenu intensément noir.
La dictature que certains dénoncent, par paresse intellectuelle, ne se niche pas dans le port d'un masque, ou l'imposition d'un couvre-feu pour lutter contre un virus, mais elle s'enracine dans l'idée de plus en plus solide, qu'on ne peut plus se permettre un certain nombre de choses, par peur, par auto-censure, par le formatage de nos idées contraires à nos idéaux de liberté d'expression et de blasphème. Quand la vue d'un simple dessin engendre une avalanche de violence, au nom d'un principe religieux, il faut se demander ce en quoi nous croyons le plus : en l'hypothèse d'un être supérieur qui n'existe que dans l'injonction de la foi ou dans la ferme certitude de l'existence de l'être humain ?
Au lieu de nourrir des fantasmes complotistes autour de mesures sanitaires, il est surtout urgent de remettre au centre de tout, la lucidité de la lumière qui a le privilège de pouvoir projeter les ombres les plus obscures y compris celle de toute vérité bue. Et repousser l'obscurantisme au rang d'écoulements d'égout. Contre la censure, contre l'appauvrissement du champ de nos libertés, il est urgent de ne rien céder face à ceux dont l'unique initiative est de soumettre l'humain, non pas à un quelconque Dieu qui, si puissant qu'il soit, n'aurait alors pas besoin des hommes pour s'imposer, mais aux affres de leur folie égocentrique. La religion, toutes les religions, sont des inventions humaines pour asservir les plus faibles à ceux qui croient leur être supérieurs. Et qui, face à leurs incertitudes, et leurs faiblesses, se servent des voix qu'ils entendent dans leurs têtes.
A la mémoire de Samuel, professeur d’histoire géographie du collège du Bois d’Aulnes (78).
Quelque chose de trop, quelque chose de froid,
Est venue percuter notre front rationnel,
Nous saignons comme saigne un cœur ouvert qui bat
A l’air qui n’est plus libre mais obsessionnel.
Comment a-t-on pu laisser les doutes nous nuire,
Jeter ce qui nous reste de capacités,
Contre d'obscurs éléments qui veulent réduire
La surface de nos précieuses libertés.
Pourquoi ne portons-nous plus jamais nos valeurs
Comme des boucliers contre l’irraisonnable,
Comment peut-on laisser une armée de hurleurs
Décider qui viendra penser à notre table.
Pourquoi n’avons-pas nos défenses légales
Chevillées à nos esprits trempés de lumière,
Et qu’avons-nous raté de si fondamental
Pour que demain s’annonce comme un avant-hier ?
Allons-nous ravaler nos envies de blasphème,
Nos traits si vifs d’esprits, nos désirs de critique,
Notre devoir urgent, notre devoir suprême
D’être humain et réel, profondément sceptique.
Allons-nous devenir des troupeaux de genoux
Baisant le sol durci par tant d’intolérance,
Parce que des dieux inventés par quelques fous
Nous souffleraient la chorégraphie de leurs danses ?
Il faut hisser d’urgence, des totems de soleil,
Tout au fond des trous noirs où l’on veut nous descendre,
Allumer les cerveaux pour qu’ils restent en veille
Face aux braises de la foi écrit dans la cendre.
A toi qui n’auras plus la chance d’accomplir,
Le juste usage de la parole cruciale,
Je vidange ma rage, je la crie pour remplir,
Ces incompréhensions de plus en plus bestiales.
Je prendrai tous les mots qui existent pour vaincre
L’abstrait et le brumeux, l’hermétique et le flou,
L’incertain érigé en dogme pour convaincre
Des faibles sans vision tenus par des gourous.
J’érigerai des ponts de verbes sans leurs gangues
Pour traverser la boue épaisse des doctrines,
Jusqu’à l’épuisement, je mettrai sur ma langue
Des mots utiles qui, j’en suis sûr, vaccinent.