Depuis plusieurs mois, les points de deal notamment place du Marché au Blé font l'objet d'une mobilisation particulière : réunion de l'ex-députée, envoi de courrier de l'actuel député, patrouilles de police régulières avec point fixes des policiers pour décourager les vendeurs, action de l'adjoint à la sécurité.
Mais il semble que tout cela n'ait pas de réel impact sur la situation que certains habitants vivent mal. L'un d'eux a accepté de témoigner, anonymement, il explique pourquoi, et nous raconte ce qu'il voit, ce qu'il ressent et ce qu'il aimerait qu'il soit fait.
On parle beaucoup des points de deal de la place du Marché au Blé. En quoi est-ce devenu invivable au quotidien ?
Les dealers exploitent des jeunes mineurs, des ados, qui tiennent le point de deal en faisant le pied de grue toute la journée, au vu et au su de tous. Les mineurs servent de boucliers humains juridiques car il est très difficile de mener à terme une procédure de justice à l’encontre d’un mineur.
Mais ces enfants sont connus et devraient être pris en charge au nom de la protection de l'enfance. Mais rien ne semble fonctionner. Ils sont abandonnés à l’influence des dealers. C’est avant tout cette situation qui est insupportable.
Et puis il y a ce qui est usant au quotidien, jour et nuit, des nuisances sonores, avec des cris, des aboiements, des rodéos en scooter. Ils entraînent leurs molosses, non tenus en laisse, à l’attaque en pleine rue. Ce sont aussi des tas de détritus qui sont jetés sur la place publique, car les dealers prennent souvent leurs repas sur place.
Il y a des dégradations, et globalement une appropriation de l’espace public mais aussi privé, avec la présence quasi-constante de l’après-midi au soir de plusieurs groupes de 3 à 6 personnes sur les paliers et les marches, quand ils ne sont pas sur leurs chaises pliantes. Il y a aussi eu quelques agressions.
Vous avez souhaité témoigner. Un fait récent vous a marqué.
Effectivement, ce que j'ai vu, c'est une petite fille, entre 10 et 12 ans, qui s'est avancée vers le groupe de dealers de la place Vaillant-Couturier et leur a demandé où acheter... Elle bégayait, elle n'était pas sûre d'elle. Les dealers lui ont demandé : "c'est pour ta daronne ?
Elle a déjà fini ?" puis lui ont indiqué une allée vers la rue Wittelsheim, où ils ont installé un autre point de deal, car ils n'ont pas la drogue sur eux. On en est là, avec une très jeune enfant qui achète de la drogue pour sa mère à des adolescents, au vu et au su de tous. Choqué, je n’ai pas su quoi dire ou faire sur le coup et sincèrement je ne sais toujours pas ce que j’aurais pu dire ou faire.
Par ailleurs, les points de deal sont à proximité immédiate d’écoles, du collège, et pas loin des lycées. Les dealers tiennent à cette proximité, c’est pourquoi ils ne se laissent pas déloger, et les enfants sont témoins de ce trafic qui se banalise.
La police de Vierzon est présente, elle organise même des points fixes pour décourager les dealers, est-ce efficace ?
Je ne sais pas, mais ce qu’on constate c’est qu’un deuxième point de deal s’installe rue de Wittelsheim, en plus de celui sur place Vaillant Couturier / rue Joffre, et qu’on voit plusieurs nouvelles têtes (des jeunes) auprès des habituels. Mais j’espère que la démarche des points fixes portera ses fruits. Les policiers sont présents, il faut saluer leur implication, leur patience, leur sang-froid, leur professionnalisme.
Ils sont limités par leurs effectifs mais aussi par leurs prérogatives : les dealers ont leurs papiers sur eux, sont bien organisés et ont rarement de la drogue sur eux. L'effet dissuasif des amendes quant à l'arrêté anti-regroupement est nul. Les dealers ne payent pas et attendent simplement que la police s'en aille. La police ne peut pas les évacuer faute de motif donc ils attendent.
Quand il est possible de lancer une procédure, elle peut s’avérer très longue voire ne jamais aboutir pour un mineur. Ce n’est donc pas uniquement une question de moyens même si ceux-ci sont clairement sous-dimensionnés.
Si les policiers sont plus nombreux pour verbaliser ou arrêter des mineurs et que rien n’est fait vis-à-vis de ces mineurs par la suite, en termes de procédure de justice ou de prise en charge, à quoi bon ?
Que faudrait-il faire, selon vous ?
Il y a ce qu’il faudrait faire dans l’absolu, et ce qu’on pourrait faire, concrètement. On peut souhaiter que les procédures de justice soient plus adaptées mais on reste dans l’incantatoire. Je pense qu’il faut tenter quelque chose de nouveau.
Aujourd’hui le maire d’Hérouville a tenté de se constituer partie civile contre des dealers, cela lui a procuré une tribune. A Valence, une école a fermé pour protester contre le deal qui se déroule à proximité et les menaces qui l’accompagnent, ce qui permet aussi de mettre la pression.
Dans d’autres villes encore, à Marseille par exemple, ce sont les citoyens qui se mobilisent directement, en l’occurrence les femmes pour occuper en permanence le terrain des dealers. La mobilisation citoyenne (non violente) est importante car chez les dealers il y a une certaine retenue qui a disparu, un tabou ou une limite qui sont tombés, et qui fait qu'ils sont devenus totalement décomplexés et n’ont plus aucune barrière à vendre au vu et au su de tous devant des mineurs ou à des mineurs par exemple.
Il faut trouver une manière de dire non, collectivement et bruyamment, ce serait déjà un pas vers le retour à la normalité. Et de se réapproprier le terrain symboliquement. Mais les citoyens ont besoin d'être soutenus, accompagnés et protégés pour se mobiliser.
Que dit le député, la maire ? Vous évoquez un sentiment d'abandon ?
La maire et le député prennent le temps d’écouter. Il y a même un certain volontarisme chez le maire adjoint à la sécurité. Mais le sentiment d’abandon vient de ce que l’on finit par entendre : « on fait ce qu’on peut dans la limite de nos moyens et prérogatives, mais à la fin c’est à l'État d'assumer ses responsabilités ».
Pour moi, on retombe dans l’incantatoire. Face à cette situation inacceptable et qui perdure, on ne peut pas se contenter de rester dans ses prérogatives et de renvoyer la balle à l'État, même s'il est défaillant en la matière.
Et en plus des pouvoirs de police de notre maire, non seulement nos élus ont des marges de manœuvres indirectes avec la politique de la ville en général (économique, social, aménagement, médiation…), mais ils peuvent aussi être moteurs d’autres formes de mobilisation citoyenne. J'attends plus de volontarisme, d'imagination, de prises d'initiatives, d'expérimentations.
Si nos élus tentaient régulièrement de nouvelles approches, quitte à échouer, personnellement cela mettrait du baume au cœur et enverrait de toutes façons un signal. Tout comme le fait de les voir plus souvent déambuler sur la place Vaillant-Couturier à la rencontre des commerçants et habitants. Le sentiment d’abandon vient aussi de l’état du quartier en général.
Vous témoignez d'une façon anonyme, pour quelle(s) raison(s) ?
Les dealers sont violents. Je les ai vus intimider mais aussi tabasser des personnes. C'est pour cela que s'il doit y avoir une mobilisation citoyenne sur place, elle doit être non seulement régulière mais massive, et à l'appel d'organisations et d'élus de tous bords, afin que cela ne retombe pas sur des personnes isolées.
S'ils ne partent pas, est-ce vous qui partirez ?
On se pose la question. C’est aberrant d’en arriver là. Pourtant, c'est un quartier qui a énormément d'atouts, il pourrait être charmant, des touristes y passent régulièrement. On a perdu le droit de monter au sommet de la butte de Sion à cause des incivilités. On avait pourtant un magnifique panorama.