Le confinement, on n'a rien dit. Les masques, le gel, la distanciation sociale, le télétravail, les attestations de sortie, on n'a rien dit. Pour le déconfinement, on respecte les consignes au mieux, dans la continuité des efforts qui nous sont réclamés. Mais, une chose, je dirai mieux, à une condition, rendez-nous vite nos bistrots ! Rendez-nous nos terrasses sous le soleil, rendez-nous le petit noir dans la soucoupe, le petit crème un peu débordant à cause du lait en trop, rendez-nous ces exoplanètes où les conditions de vie sont comparables à celles de la Terre.
D'accord, on veut bien oublier le comptoir, la position debout, pour ne pas être trop près du patron, pour ne pas être au coude-à-coude avec d'autres indigènes du pays bistrotier. D'accord, on veut bien se récurer les doigts au gel avant de commander, porter un masque avec un trou pour y glisser la paille, on veut bien être un par table, sur des tables séparées de deux mètres, mais rendez-nous nos bistrots, nos terrasses, nos illusions de groupes. On peut vivre sans promiscuité, sans se lécher le museau pour se dire bonjour, sans accolades, sans poignée de mains, on peut vivre avec d'autres habitudes, d'autres gestes de sociabilité. Mais pas sans nos bistrots.
Non, rien n'est là-bas comme ailleurs, ce n'est pas vrai. Un vie sans bistrot mais c'est la plage sans sable, la mer sans sel, la rue sans bitume. Imaginez une ville sous le soleil sans un seul parasol ouvert, sans une seule table occupée même par un unique client. Imaginez un petit main tiède sans un café pour le journal, sans aller à notre endroit habituel pour voir des gens habituels que l'on ne voit que dans ces habitudes. Non, rouvrez ce que vous voulez mais n'oubliez pas les bistrots, les rades de quartier où la seule famille disponible est accrochée ou sur les tables.
Vous vous rendez compte, combien de ces bistrots ne vont pas rouvrir, combien vont-ils y laisser leur peau ? C'est déjà le désert des licences IV, il ne faut pas les lâcher hein, il n'y a pas de meilleurs croissants que ceux aspirés dans un bistrot, pas de meilleur rendez-vous non plus. Et la lecture ? Où irons-nous lire sans un bistrot en vue ? Il y a urgence. Extrême urgence à aider le plus possible les cafés non seulement à rouvrir mais aussi à ne pas fermer, à rester l'essence même de notre esprit de groupe, de notre sociabilité. A nous d'en réinventer les contours, les reliefs, à nous d'être plein d'imagination, de bon sens, mais rouvrez les bistrots sans attendre. Ils ne sont pas plus contagieux que les rayons des grandes surfaces, ce bouillon de culture qui n'a rien mais absolument rien de convivial.