Nous avons reçu le témoignage d'une festivalière à propos de Pulsar 80.
"J'ai été touché qu'il y ait encore une trace de ce qui fut le seul grand festival de France, jamais égalé au niveau tête d'affiches et lieux très bien pensés pour que les gens profitent au mieux et cela m'interpelle que vous puissiez penser que c'est Vierzon qui n'était pas prête alors que c'est une histoire de fric et de banditisme en final.
Les lieux étaient parfaits, je me souviens de la folie des Madness avec le chanteur qui grimpe sur la structure, de pouvoir m' allonger dans l'herbe sans être entassé pour le concert de Mac Laughlin, de rester écouter Dan Ar Braz pendant 4 heures, d'être emportée par Chrissie Hynde et les Pretenders, et le meilleur de découvrir l'incroyable bête de scène Mink De Ville.
Bon c'était un bordel d'organisation qui a été blessant pour les artistes. Ce système de programmation qui a fait que Diane Dufresn , ce soir-là, grande prêtresse sexy du rock n'roll , voit sa salle se vider en plein concert parce qu' il y a un autre grand groupe sur une autre scène, épouvantable pour une artiste d'un tel talent, elle a quitté la scène en pleurant et on ne l'a plus revue en France.
Dan ar braz , idem mais bon beaucoup plus humble a continué à jouer les morceaux qu'on voulait pendant 4 heures. Il me semble avoir quitté le festival après Dillinger pour monter voir Marley qui passait au Bourget ce soir-là, c'est en rentrant vers 4 heures que nous avons trouvé la ville dévastée et nos amis éclipsés.
Alors n'imputons pas à Vierzon la réaction d'un public déjà pas très chaud pour porter un bracelet mais qui se faisant arnaquer en avait très gros sur la patate ! Le camping, la ville, la grande scène, c'était vraiment génial ! Un grand moment dans ma vie, merci encore Vierzon et désolé (j'ai aussi quelques tombes et histoires familiales à Vierzon !) Merci pour votre article."
Pulsar 80 aurait pu changer l'avenir de Vierzon s'il n'avait pas capoté dans un douloureux désordre dont la cicatrice ne s'est jamais vraiment refermée. « Cet été, la musique explose à Vierzon ». Le slogan de ce festival débarque en 1980. Il est en fait prémonitoire. Dans la mémoire collective, Pulsar 80 sent encore le gaz lacrymogène, l'estafette incendiée, l'embrouille, le désordre, la pagaille, les tentes sur les pelouses publiques, des festivaliers échevelés, le fric et l'inexpérience incarnée. L'ambition de la Ravenelle, une association de folkleux basée à Saint-Georges-sur-la-Prée, à côté de Vierzon, passe, sans prélable, d'un petit festival rural à une méga-machine du show-biz.
Sur le papier, Vierzon cartonne ! Le programme aligne les têtes d'affiche : Angélo Branduardi, Al Jarreau, Valérie Lagrange, Mama Béa, Bashung, Bernard Lavilliers, Mink de Ville, Philippe Chatel, Billy Preston, Stanley Clarke, Daniel Balavoine, Jimmy Cliff, Ray Charles, Madness, John Lee Hooker, Trust, Motorhead...
Vierzon n'a jamais vu ça et Bourges, avec son Printemps naissant, non plus (le Printemps de Bourges existe toujours). L'affiche est même trop belle pour être vraie. Seulement voilà, Vierzon veut asseoir sa réputation. “Une telle rencontre amenant un public aussi diversifié ne s'était jamais encore vu en France” explique la Ravenelle qui a fait tranquillement son marché de vedettes les plus en vue. A la musique s'ajoutent le cirque, le théâtre, le cinéma, les animations de rue. Au bord de l'été, la ville prend des airs de vaste camping tandis que la méfiance s'installe dans les esprits.
“Le glas des septiques”
100.000 personnes sont attendues entre le 28 juin et le 5 juillet, soit 10.000 festivaliers par jour. Les chiffres donnent le tournis. La ville compte alors 35.000 habitants. “Vierzon va connaître un événement de portée nationale voire internationale” explique la presse locale, “Pulsar 80 sonnera le glas des septiques” titre-t-elle encore. Le festival sonne surtout le glas des ambitions vierzonnaises pour les grands festivals. On parle même encore aujourd'hui du “syndrome Pulsar” qui a longtemps empêché l'organisation de grandes manifestations... Chat échaudé...
Trois chapiteaux hérissent la ville dont un place de la République (où se situe le Forum République actuel); deux scènes en plein air sont montées dont une à Bellevue; et le centre culturel Mac-Nab ainsi que l'église Notre-Dame comptent accueillir des spectacles. L'infrastructure est impressionnante.
Le bulletin municipal de mai 1980 affiche l'ambition de la ville : “Nous recherchons simplement à ce que notre ville ne soit à la remorque de qui que ce soit.” Message codé pour signifier que Vierzon, voisine de Bourges, veut aussi sa part de gâteau, celui de la renommée. La presse insiste : “pour huit jours au moins, Vierzon perdra son auréole de ville triste et grise.” Le festival doit ouvrir avec l'Orchestre philarmonique de Mexico, à 19 heures, le 28 juin sous le chapiteau numéro 2. Il pleut des cordes.
A 20h30, le rocker paysan, Angélo Branduardi, est censé enchaîner et déchaîner le public. Le festival est déjà mort, les organisateurs ne le savent pas encore. L'Orchestre philarmonique refuse de jouer, notamment à cause du bruit du vent et de la pluie sur la toile. C'est mal parti. “On a voulu à Vierzon faire jouer un orchestre symphonique sous une tente tout juste bonne à abriter une fête de la choucroute avec ses petites chaises pliantes en bois, sa scène pour bal musette et son sol de graviers” lit-on le lendemain, écrit un journaliste, dans la presse locale qui après avoir encensé, critique sévèrement. Vierzon devait chanter mais la ville déchante.
Angélo Branduardi refuse de jouer
Le second coup est plus rude : Angélo Branduardi ne sort même pas son violon. Les six mille spectateurs sont forcément déçus. Le rocker violoniste part quand même avec son cachet. On se demande de quelle façon ont été rédigés les contrats. La machine est grippée. Il faut impérativement que le festival fonctionne jour après jour pour ne pas prendre de retard financier. Dès le premier jour, les caisses sont vides : Angélo Branduardi a siphonné les finances et la météo est désespérante. Les désillusions sont aussi grandes que les espoirs fondés avant le 28 juin : au cours du festival, Billy Preston annule. John Lee Hooker doit se faire opérer de la prostate ! Trust est remplacé par Jacques Higelin.
Pulsar 80 se tortille. Ses organisateurs sont accablés de demandes de toutes sortes de la part des imprésarios des artistes : des caravanes, des cyclomoteurs, des chambres d'hôtel, des petits déjeuners, de la moquette... Asséché, le tiroir-caisse du festival est mis sous perfusion. La ville débloque en urgence des fonds, au détriment de la transparence municipale, pour sauver Pulsar et sa réputation. Trop tard. Ca sent le roussi à plein nez. Plus rien n'est maîtrisé. Les festivaliers entrent dans les concerts encore d'actualité comme dans un moulin car le système d'abonnements via des bracelets de couleurs n'est pas fiable. Al Jarreau chante, il est payé en liquide. Le piano Stenway, loué pour l'occasion, est détruit dans les émeutes du public qui embraseront Vierzon.
Panne d'électricité, sono pourrie. Bashung annule aussi. Le navire prend l'eau, façon Titanic, drame à la première traversée. Les organisateurs, débordés, sont destitués, remplacés par un imprésario dont on se demande s'il est chargé de sauver le festival ou de donner le coup de grâce. Ca cogne maintenant. Le trésorier de la Ravenelle est frappé. Le show-biz semble avoir posé la main sur la nuque du festival vierzonnais. La presse locale vit les événements de l'intérieur et rapportent, le lendemain, dans ses colonnes, l'énormité de ce qu'elle a vu. Les éditos sont d'une dureté incroyable
Règlement de comptes
Le 3 juillet, “la musique explose à Vierzon”. Véritablement. Artistes impayés, spectateurs floués, magouille, émeute, pagaille, la presse locale et nationale relatent le chaos du terrain avec des manchettes terribles. Libération fait le procès du fric. Le mensuel Actuel consacre plusieurs pages en couleur au festival et aux émeutes.
Dans les hauts-parleurs branchés à travers la ville, les organisateurs et le maire de Vierzon s'expliquent vertement, les premiers veulent annuler, le second ne veut pas. Déballage public. Vierzon se ridiculise. Le fetsival doit vivre car la l'image de Vierzon est en jeu et la crédibilité de sa municipalité en dépend.
Tout s'accélère. Higelin veut jouer mais les roadies ont plié les gaules. Les festivaliers renversent la billeterie et y mettent le feu. Le parquet brûle. Les lacrymos enfument la lune. Les nuitards les plus excités renversent des voitures et dressent même des barricades dans plusieurs endroits de la ville. Casqués, la police déroule dans le centre-ville. Court après les casseurs. Ils brisent des vitrines. La police charge. Interpelle des festivaliers. Les yeux piquent. Des mannequins portant des robes de mariés sont jetés dans la rivière. Les photos font le tour de la presse. La nuit est chaude et le réveil difficile.
Jacques Higelin joue finalement dans l'arrière-salle d'un bistrot solognot. Il est là et veut chanter pour son public pendant que Vierzon flambe, crie, court, et se noie sous un festival beaucoup trop grand pour elle. Le lendemain, devant les restes calcinés du bal-parquet et de la billeterie, le père Euzèbe joue de son limonaire devant les journalistes de la presse locale et nationale. Revanche du petit sur le monde du spectacle. Devenu directeur d'un théâtre, le père Euzèbe est venu de nombreuses années, à Vierzon, comme un pélérinage. L'imprésario de Ray Charles arrive à Vierzon pour constater qu'il est impossible de jouer... Tout a brûlé, tout est détruit.
La réputation de Vierzon en prend alors un sérieux coup. A la sortie de la ville, un festivalier a planté un panneau sur lequel on peut lire : “Vierzon piège à cons”. La machine judiciaire prend le relais. Les dernières affaires se terminent dans les années 1990. Pulsar 80 a laissé un goût plus qu'amer. La ville de Vierzon n'a jamais osé remettre en marche un tel festival. Trente ans plus tard, la mémoire collective en parle encore du bout des lèvres...