Reconnue ville industrielle, industrieuse et ouvrière, la ville a petit à petit perdu les honneurs de sa réputation, dans les méandres des crises économiques successives. Des Forges à la porcelaine, des verreries au machinisme agricole, de la Pointerie à la star up Ledger qui construit une entreprise sur le parc technologique de Sologne, Vierzon a traversé son âge d'or industriel jusqu'à la crise économique. Aujourd'hui, la ville est toujours marqué par son architecture industrielle.
Pourtant, l'industrie vierzonnaise s'assoit sur un évènement « riche en symboles et lourd de conséquences ». Le Comte d'Artois, futur Charles X, pose les bases de la future industrie vierzonnaise dans ce qui se nomme encore Vierzon-Villages et devient plus tard, Vierzon-Forges. Un complexe métallurgique prend forme. Il ne doit rien au hasard : l'Yèvre offre l'énergie hydraulique, les forêts de Vierzon le bois nécessaire, et le fer est à proximité. Deux hauts-fourneaux trouent le couvercle de la ville, une fonderie et une forge tournent à plein régime. Vierzon peut déjà se vanter, à la veille de la Révolution, de posséder sur ses terres, « un des fleurons de l'industrie metallurgique française. »
La même logique conduit un autre futur industriel, Célestin Gérard, à poser ses valises entre la gare naissante et le canal de Berry, en pleine expansion : d'un côté le chemin de fer, de l'autre une voie navigable. Célestin Gérard amorce, le 15 octobre 1848, un empire du machinisme agricole. Il offre à Vierzon, l'une de ses plus belles pages de son industrie. Dès lors, Vierzon vit au rythme des cheminées qui fument. Ce qu'écrit, avec des alexandrins parfaits, dans un recueil de poèmes, daté de 1914, le docteur vierzonnais Fernand Louis : “Cependant, tout là-bas, au feu de ses fourneaux/Sous un nuage noir, Vierzon bourdonne et fume/Ma paresse se berce au rythme des marteaux/Qui frappent en cadence et chantent sur l'enclume.”
Au début du XXème siècle, Vierzon s'impose comme étant la capitale du machinisme agricole. Elle compte plusieurs firmes de batteuses et de locomobiles, en plus de la Société-Française, créée par Célestin gérard : Brouhot, Merlin, La Vierzonnaise...
Parallèlement, le textile nourrit l'économie de la ville, considérée comme un centre drapier au XVIIIème siècle. Plus tard, la confection inonde Vierzon et participe largement à sa réputation économique. Un personnel essentiellement féminin. Ce n'est pas tout : la présence d’argile réfractaire favorise la naissance d’une activité porcelainière à partir de 1816. Et la tradition des arts du feu se perpétue avec la création de deux verreries en 1860 et 1874.
La cité devient vite ouvrière et laisse derrière elle, son image touristique idyllique. La révolution industrielle ancre Vierzon dans le destin qui est resté le sien, ouvrier, laborieux, terre de gauche et de luttes sociales. Mais la fierté économique n'a pas résisté à la désindustrialisation de masse. La porcelaine a complétement disparu, les verreries également, idem pour la confection. Les équipementiers automobiles constituent aujourd'hui le plus important bataillon de salariés (plusieurs centaines) ainsi qu'un fabriquant de pompes hydrauliques.
L'économie défendue à partir de 1959 par une municipalité communiste est la pierre angulaire des débats politiques vierzonnais. Les années 1950 et 1960 préfigurent la crise des années 1970. La difficulté de maintenir les industries en place, héritées pour la plupart du XIXème siècle comme celle du machinisme agricole, se conjugue à la difficulté d'en créer de nouvelles pour assurer l'expansion démographique que Vierzon souhaite tant. C'est aussi la disparition de la Pointerie, usine emblématique succédant aux forges du Comte d'Artois. Un symbole. L'Usine est rasée à coup de buldozer. Signe des temps : un supermarché la remplace.
Les années 1990 ravagent le tissu industriel. La Case (ex-Société Française) ferme ses portes. Fulmen, venue s'installer pendant la seconde guerre mondiale à Vierzon pour fabriquer des batteries et des accumulateurs quitte la ville avec fracas. Les confections sont décimées.
Les noms résonnent encore, des échos proportionnels à la mobilisation sociale engendrée. On pense bien sûr à Julietta, par exemple. Les licenciements, les dépôts de bilan, les fermetures, se font dans la douleur doublée d'un soutien sans faille de la municipalité, défilant sous les banderoles. Les changements sont profonds : en 1960, Abex Denison remplace la Précision moderne; en 1962 Unelec remplace Merlin, en 1963 Paulstra remplace Brouhot, en 1968 Flambo arrive. En 1980, le patron de la LBM s'exprime à la tribune du CNPF (actuel Medef). Il explique en pleurant qu'il doit fermer l'usine. La mobilisation est immédiate et sans précédent : pendant des mois, les salariés occupent l'entreprise et obtiennent, en 1981, de transformer l'usine en coopérative ouvrière, l'entreprise subsiste encore sous ce statut.
Aujourd'hui, Vierzon entretient toujours une spécialité mécanique à travers un réseau d'entreprise (pôle industriel Coeur de France). Des activités logistiques profitent des nombreuses dessertes routières et autoroutières. Au centre d'innovation en céramique et matériaux avancés s'ajoute un label national sur le thème handicap-gérontologie, obtenu en 2011. Matériel de sécurité pour travail en hauteur, barres d'acier, caoutchoucs antivibratoires, enseignes, ponts élévateurs et matériel de garage, charbons actifs etc. composent les autres spécialités de l'industrie vierzonnais actuelle.
Confection
La première guerre mondiale est à l'origine de la confection vierzonnaise. Les façonniers produisent les effets militaires. En 1935, quarante-cinq ateliers fonctionnaient, employant entre quinze et deux cents personnes. A la fin des années 1970, les premières difficultés lézardent l'édifice. En 1975, un millier de salariés travaillent dans la confection. En 1981, fermeture de l'usine Gégé (130 salariés) et de Julietta (139 salariés). En 1989, ils sont moins de cinq cents salariés. En 2004, il n'existe plus que trois entreprises et en 2009, la liquidation judiciaire de l'avant-dernier atelier est un symbole. Il n'existe plus aujourd'hui qu'une petite structure très spécialisée.
Porcelaine
L'histoire d'amour dure 180 ans. De passion. De découverte. D'invention. D'empire même. L'argile réfractaire, nécessaire à la fabrication des “gazettes” contenant la porcelaine à cuire est monnaie courante à Vierzon. Elle prend d'ailleurs le nom de “Vierzonite”. En 1816, le château de Bel Air accueille la première manufacture de porcelaine. Un ancien marchand de canons obligé de se reconvertir, sème la première graine. Dès lors, des noms prestigieux s'imposent. Victor Schoelcher, le père de l'artisan de l'abolition de l'esclavage passe par la manufacture de porcelaine de son père, Marc. Il succède à Delvincourt, le marchand de canons associé au Vierzonnais Perrot. Victor Schoelcher reste une seule année, à Vierzon, en 1828-1829, quand son père l'envoie en Berry et en Limousin pour apprendre le métier de porcelainier. Parti en 1830 au Mexique pour trouver des clients, il découvre l'esclavage et milite pour son abolition le 27 avril 1848.
Plus tard, Adolphe Hache prend la direction de la manufacture en 1842 avec Pépin-Lehalleur et Pierre-Emile Jullien. Mille ouvriers y travaillent ! La porcelaine Hache rivalise avec Sèvres. Vierzon est un chaudron bouillant d'inventivité et de qualité. Un autre grand maître de la porcelaine s'impose à Vierzon : Marc Larchevêque. En 1850, Vierzon ne compte qu'une seule entreprise. Il y en a treize en 1914 : Larchevêque, Gaucher, Vincent, Boutet et Hache, Taillemitte etc. Avant la première guerre mondiale, les effectifs montent à 1500.
La manufacture de Marc Larchevêque occupe une grande partie de la rue de Grossous, en centre-ville. Ces hauts bâtiment imposent la notoriété de son entreprise. La porcelaine connaît des hauts et des bas : la crise des années 1930, la reprise après 1945.
1200 employés en 1946. L'euphorie est de courte durée. Entre 1952 et 1970, treize manufactures disparaissent. En 1970, elles ne sont plus trois : la CNP, Compagnie nationale de porcelaine, Larchevêque et Cirot-Gadouin. Les années 1980 sonnent le glas. Larchevêque ferme. En 1983, la CNP dépsoe le bilan. L'usine Jacquin, perchée sur les hauteurs de Vierzon-Villages s'arrête brutalement. Le jeudi 28 septembre 1986 à 18h46, l'ancienne usine Larchevêque est abattue, rue de Grossous, appellée aujourd'hui rue Pierre-Debournou.
Aurait-il fallu écouter Marc Larchevêque, qui déclare en 1923 : « l'industrie de la porcelaine est, en ce moment, assez prospère mais elle ne tardera pas à péricliter devant la concurrence étrangère, la protection douanière étant dérisoire, plus mauvaise qu'avant la guerre ». Fière de ses arts du feu, la profession ouvre, en centre-ville la Maison de la Porcelaine, le 16 octobre 1954, la vitrine du « plus brillant des arts du feu du Berry ». Elle ferme au début des années 1980. Deux fours à globe, classés à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques attendent d'être restaurés... Ultimes traces d'un passé glorieux.
Case, Paulstra, Nadella, restaient les usines les plus peuplées, plus de 1.700 salariés à elle trois. Mais citons aussi Unelec, Flambo, plus de 660 personnes à elles deux, la société Albizzati (300 salariés), la Pointerie, encore 200 salariés en 1971, les presses LBM, plus de cent ouvriers encore à l'époque. A lire aussi, la liste des entreprises de plus de cent salariés, établie en 1969.
La liste des entreprises de plus de 100 salariés datant de 1970.
Liste des entreprises nouvellement implantées à Vierzon, liste datant de 1969
Reconnue ville industrielle, industrieuse et ouvrière, la ville a petit à petit perdu les honneurs de sa réputation, dans les méandres des crises économiques successives.
Pourtant, l'industrie vierzonnaise s'assoit sur un évènement « riche en symboles et lourd de conséquences ». Le Comte d'Artois, futur Charles X, pose les bases de la future industrie vierzonnaise dans ce qui se nomme encore Vierzon-Villages et devient plus tard, Vierzon-Forges. Un complexe métallurgique prend forme. Il ne doit rien au hasard : l'Yèvre offre l'énergie hydraulique, les forêts de Vierzon le bois nécessaire, et le fer est à proximité. Deux hauts-fourneaux trouent le couvercle de la ville, une fonderie et une forge tournent à plein régime. Vierzon peut déjà se vanter, à la veille de la Révolution, de posséder sur ses terres, « un des fleurons de l'industrie metallurgique française. »
La même logique conduit un autre futur industriel, Célestin Gérard, à poser ses valises entre la gare naissante et le canal de Berry, en pleine expansion : d'un côté le chemin de fer, de l'autre une voie navigable. Célestin Gérard amorce, le 15 octobre 1848, un empire du machinisme agricole. Il offre à Vierzon, l'une de ses plus belles pages de son industrie. Dès lors, Vierzon vit au rythme des cheminées qui fument. Ce qu'écrit, avec des alexandrins parfaits, dans un recueil de poèmes, daté de 1914, le docteur vierzonnais Fernand Louis : “Cependant, tout là-bas, au feu de ses fourneaux/Sous un nuage noir, Vierzon bourdonne et fume/Ma paresse se berce au rythme des marteaux/Qui frappent en cadence et chantent sur l'enclume.”
Au début du XXème siècle, Vierzon s'impose comme étant la capitale du machinisme agricole. Elle compte plusieurs firmes de batteuses et de locomobiles, en plus de la Société-Française, créée par Célestin gérard : Brouhot, Merlin, La Vierzonnaise...
Parallèlement, le textile nourrit l'économie de la ville, considérée comme un centre drapier au XVIIIème siècle. Plus tard, la confection inonde Vierzon et participe largement à sa réputation économique. Un personnel essentiellement féminin. Ce n'est pas tout : la présence d’argile réfractaire favorise la naissance d’une activité porcelainière à partir de 1816. Et la tradition des arts du feu se perpétue avec la création de deux verreries en 1860 et 1874.
La cité devient vite ouvrière et laisse derrière elle, son image touristique idyllique. La révolution industrielle ancre Vierzon dans le destin qui est resté le sien, ouvrier, laborieux, terre de gauche et de luttes sociales. Mais la fierté économique n'a pas résisté à la désindustrialisation de masse. La porcelaine a complétement disparu, les verreries également, idem pour la confection. Les équipementiers automobiles constituent aujourd'hui le plus important bataillon de salariés (plusieurs centaines) ainsi qu'un fabriquant de pompes hydrauliques.
L'économie défendue à partir de 1959 par une municipalité communiste est la pierre angulaire des débats politiques vierzonnais. Les années 1950 et 1960 préfigurent la crise des années 1970. La difficulté de maintenir les industries en place, héritées pour la plupart du XIXème siècle comme celle du machinisme agricole, se conjugue à la difficulté d'en créer de nouvelles pour assurer l'expansion démographique que Vierzon souhaite tant. C'est aussi la disparition de la Pointerie, usine emblématique succédant aux forges du Comte d'Artois. Un symbole. L'Usine est rasée à coup de buldozer. Signe des temps : un supermarché la remplace.
Les années 1990 ravagent le tissu industriel. La Case (ex-Société Française) ferme ses portes. Fulmen, venue s'installer pendant la seconde guerre mondiale à Vierzon pour fabriquer des batteries et des accumulateurs quitte la ville avec fracas. Les confections sont décimées.
Les noms résonnent encore, des échos proportionnels à la mobilisation sociale engendrée. On pense bien sûr à Julietta, par exemple. Les licenciements, les dépôts de bilan, les fermetures, se font dans la douleur doublée d'un soutien sans faille de la municipalité, défilant sous les banderoles. Les changements sont profonds : en 1960, Abex Denison remplace la Précision moderne; en 1962 Unelec remplace Merlin, en 1963 Paulstra remplace Brouhot, en 1968 Flambo arrive. En 1980, le patron de la LBM s'exprime à la tribune du CNPF (actuel Medef). Il explique en pleurant qu'il doit fermer l'usine. La mobilisation est immédiate et sans précédent : pendant des mois, les salariés occupent l'entreprise et obtiennent, en 1981, de transformer l'usine en coopérative ouvrière, l'entreprise subsiste encore sous ce statut.
Aujourd'hui, Vierzon entretient toujours une spécialité mécanique à travers un réseau d'entreprise (pôle industriel Coeur de France). Des activités logistiques profitent des nombreuses dessertes routières et autoroutières. Au centre d'innovation en céramique et matériaux avancés s'ajoute un label national sur le thème handicap-gérontologie, obtenu en 2011. Matériel de sécurité pour travail en hauteur, barres d'acier, caoutchoucs antivibratoires, enseignes, ponts élévateurs et matériel de garage, charbons actifs etc. composent les autres spécialités de l'industrie vierzonnais actuelle.
Confection
La première guerre mondiale est à l'origine de la confection vierzonnaise. Les façonniers produisent les effets militaires. En 1935, quarante-cinq ateliers fonctionnaient, employant entre quinze et deux cents personnes. A la fin des années 1970, les premières difficultés lézardent l'édifice. En 1975, un millier de salariés travaillent dans la confection. En 1981, fermeture de l'usine Gégé (130 salariés) et de Julietta (139 salariés). En 1989, ils sont moins de cinq cents salariés. En 2004, il n'existe plus que trois entreprises et en 2009, la liquidation judiciaire de l'avant-dernier atelier est un symbole. Il n'existe plus aujourd'hui qu'une petite structure très spécialisée.
Porcelaine
L'histoire d'amour dure 180 ans. De passion. De découverte. D'invention. D'empire même. L'argile réfractaire, nécessaire à la fabrication des “gazettes” contenant la porcelaine à cuire est monnaie courante à Vierzon. Elle prend d'ailleurs le nom de “Vierzonite”. En 1816, le château de Bel Air accueille la première manufacture de porcelaine. Un ancien marchand de canons obligé de se reconvertir, sème la première graine. Dès lors, des noms prestigieux s'imposent. Victor Schoelcher, le père de l'artisan de l'abolition de l'esclavage passe par la manufacture de porcelaine de son père, Marc. Il succède à Delvincourt, le marchand de canons associé au Vierzonnais Perrot. Victor Schoelcher reste une seule année, à Vierzon, en 1828-1829, quand son père l'envoie en Berry et en Limousin pour apprendre le métier de porcelainier. Parti en 1830 au Mexique pour trouver des clients, il découvre l'esclavage et milite pour son abolition le 27 avril 1848.
Plus tard, Adolphe Hache prend la direction de la manufacture en 1842 avec Pépin-Lehalleur et Pierre-Emile Jullien. Mille ouvriers y travaillent ! La porcelaine Hache rivalise avec Sèvres. Vierzon est un chaudron bouillant d'inventivité et de qualité. Un autre grand maître de la porcelaine s'impose à Vierzon : Marc Larchevêque. En 1850, Vierzon ne compte qu'une seule entreprise. Il y en a treize en 1914 : Larchevêque, Gaucher, Vincent, Boutet et Hache, Taillemitte etc. Avant la première guerre mondiale, les effectifs montent à 1500.
La manufacture de Marc Larchevêque occupe une grande partie de la rue de Grossous, en centre-ville. Ces hauts bâtiment imposent la notoriété de son entreprise. La porcelaine connaît des hauts et des bas : la crise des années 1930, la reprise après 1945.
1200 employés en 1946. L'euphorie est de courte durée. Entre 1952 et 1970, treize manufactures disparaissent. En 1970, elles ne sont plus trois : la CNP, Compagnie nationale de porcelaine, Larchevêque et Cirot-Gadouin. Les années 1980 sonnent le glas. Larchevêque ferme. En 1983, la CNP dépsoe le bilan. L'usine Jacquin, perchée sur les hauteurs de Vierzon-Villages s'arrête brutalement. Le jeudi 28 septembre 1986 à 18h46, l'ancienne usine Larchevêque est abattue, rue de Grossous, appellée aujourd'hui rue Pierre-Debournou.
Aurait-il fallu écouter Marc Larchevêque, qui déclare en 1923 : « l'industrie de la porcelaine est, en ce moment, assez prospère mais elle ne tardera pas à péricliter devant la concurrence étrangère, la protection douanière étant dérisoire, plus mauvaise qu'avant la guerre ». Fière de ses arts du feu, la profession ouvre, en centre-ville la Maison de la Porcelaine, le 16 octobre 1954, la vitrine du « plus brillant des arts du feu du Berry ». Elle ferme au début des années 1980. Deux fours à globe, classés à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques attendent d'être restaurés... Ultimes traces d'un passé glorieux.
Sur la table, posé le soir, un bol avec du chocolat en poudre. Sur la gazinière, une casserole avec du lait. Un casse-croûte enveloppé dans du papier d’aluminium. L’élégante fermeture de la porte d’entrée. Le bruit mat de la Mobylette qui s’éloigne. L’odeur âcre du bleu recuit dans sa couche de graisse. Un rien de lassitude dans le tourbillon de l’habitude. Un monde clos que je ne pénètre pas. L’Usine.
De l’extérieur, cette forteresse sociale m’offre le nécessaire : un toit, une assiette pleine, des jouets, un vélo, des rêves de mieux parce qu’on aspire toujours au meilleur. De la viande chaque jour, des plats en sauce, des gâteaux le dimanche, une télévision en couleur, de quoi me vêtir pour aller à l’école. Des pensées simples se heurtent au mur des grands derrière mes volets à claire-voie où la lumière se tranche comme un saucisson.
L’idée même de l’Usine ne me vient pas à l’esprit. Mon père travaille, ça je le sais. Ma mère non, du moins pas en termes de salariat. Elle s’occupe de moi, de la maison, des repas, du linge, du repassage, des courses, tient les comptes, épluche les carottes, arrange les haricots verts, prépare le casse-croûte, le met dans le papier d'alu, lave les bleus, les repasse.
Au-delà d’un certain seuil, ses tâches relèvent d’un travail d’homme. Mon père se colle à rentrer le bois pour les Mirus ventrus, celui du rez-de-chaussée et celui de l’étage ; stocker les pommes de terre à la cave ; boucher les trous dans l’immense cour qui me sert d’espace de jeux. Fabriquer un meuble pour ne pas avoir à l’acheter. Scier une planche immense avec une scie à main. Bêcher le jardin à bout de bras. Couper une branche du gigantesque marronnier. Gifler le froid avec sa Mobylette. Frapper la pluie avec sa Mobylette. Taper le vent avec sa Mobylette. Vivre avec sa Mobylette, sur sa Mobylette, à partir d'elle.
L’Usine n’existe pas. Ni en partant. Ni en rentrant. C’est une fiction dans laquelle mon père pénètre pourtant chaque matin, de bonne heure et en sort chaque fin d’après-midi. Sauf le week-end et pendant les vacances. C’est de là, me semble-t-il, que tout part. De cette idée-même de travail flou que ma conscience de gosse peine même à dessiner. Je ne me souviens pas avoir, un jour, dessiner une Usine, en disant « c’est l’Usine à papa », c'est drôle cette phrase, on la croirait sortie de la bouche d'un gosse de riche. J'étais surtout un gosse des fins de mois difficiles.
Enfin, cette Usine dans laquelle il se rend pour faire quelque chose mais je ne sais pas vraiment quoi. Peu importe. Le balancier de mon existence est d’une simplicité vertigineuse : ma mère et mon père. Ma mère plus que mon père, en matière de présence. Mon père, comme une ombre, part en toute discrétion le matin, revient à midi se mettre à table devant son assiette. Repart à 13h30, revient tard le soir, après l'Usine, le jardin.
Les parenthèses de ces absences, c’est ma mère qui les remplit de son corps, de ses bourdonnements dans la ruche de la maison, des échéances journalières, de mon enfance passive aux fenêtres de cette grande maison. L’Usine est loin. Enfin, à pas d’enfant, elle est loin. Retirée, à tel point que mon père n’y va jamais à pied, ni à vélo, mais en Mobylette. Le genre d’engin fatalement extraordinaire avec deux fidèles sacoches accrochées au destin de la route. Pas de voiture. C’est quoi une voiture ? C'est quoi des vacances ?
Mon grand-père en a une, une 4 chevaux bleue que je lave de temps en temps. Mon grand-père roule en voiture et mon père en Mobylette. Je n’ai jamais vu mon père conduire et pour cause, il n'a jamais appris. Comme on ne sait pas cuisiner, lire ou peindre. En fait, je n’ai jamais réfléchi profondément au statut du conducteur. A ce qu’il permet. A ce qu’il permet d’accéder. Aller faire les courses en voiture. Aller en vacances en voiture. Aller en vacances tout court. Aller voir la famille le dimanche qui habite à une heure de route. Aller ailleurs. Ailleurs, c’est l’Usine. C’est l’argent. L’argent qui permet la Mobylette, les repas, le loyer, le fuel dans les cuves, les jerricanes remontées de la cave, plus tard, le bois moins cher. Le samedi, sans l'Usine, on allait au bois comme d'autres vont en week-end.
L’Usine, c’est le départ du serpent de la vie qui ondule jusqu’au pas de la porte de la maison, qui l’ouvre, qui la chauffe, qui la nourrit, qui l’entretient. Les besoins sont alors comblés si l’on fait abstraction de ce qui manque et dont je ne sais rien. J’ai tout. Des parents, un frère plus grand, une sœur encore plus grande. Je grandis comme un enfant unique. La maison s’ouvre sur une vaste cour fermée qui abrite encore des commerces. Il y a tant de recoins que, quand le soleil s’y couche, je ne le trouve plus. Des anciens quais de déchargement qui ouvrent sur des salles brutes et sombres. Tout ça, est à moi. J’en suis le gardien, le veilleur de soirée. C’est un monde atypique mais c’est le mien.
Je joue entre les rayons bondés d’un immense magasin de chaussures. Je vais emprunter des boutons dans le grenier d’une ancienne confection, devenu magasin de vêtements. Je me suspends aux chariots géants d’un magasin de gros qui fournit les épiceries des environs. D’énormes camions viennent à tout moment de la journée vider leurs remorques pour nourrir le magasin qui lui-même en nourrit d’autres qui eux-mêmes doivent un peu me nourrir. Je ne sais pas si ça ressemble à l’Usine parce que l’Usine est un pays imaginaire où je n’ai pas le droit d’entrer. Ce doit être dangereux, inintéressant ou sale. Ou secret-défense. Ou interdit aux enfants. En tout cas, je n’ai pas la moindre idée de ce continent qui engloutit le temps que mon père y passe. J'y suis allé une fois : lorsqu'il l'a quitté. Ce que je sais de l'Usine, c'est ce qu'elle a fait de mon père. Et qu'il a fait de moi. Pour que j'aille ailleurs.
Fallait-il démolir la Pointerie aux Forges ? Fallait-il raser cette usine emblématique de l'ère industrielle vierzonnaise et du quartier des Forges, dont le bâti, des maisons de maître et des maisons ouvrière, ont sculpté ce quartier ? La Pointerai aurait-elle été aménageable, mieux peut-être que le site de la Société-Française. En tous cas, sa démolition, au milieu des années 1980, a tourné une page historique et industrielle. Le quartier en a été changé à tout jamais. Tout ça pour nous mettre... un supermarché. On avait rêvé mieux.
La Pointerie, avec ses ouvriers et ses ouvrières, sa grève de 1978, son savoir-faire, cette tréfilerie à l'origine, cette fierté du bastion ouvrier vierzonnais. Des gravats.
On le voit, la Pointerie était le quartier des Forges. Ici, l'étang du Bourbier avec l'usine juste en face. Et au fond, un bâtiment démoli, lui aussi pour construire un hôtel.
Et vint la démolition...
Et ce bâtiment là non plus n'existe plus.