On avait oublié que l'humour, même corrosif, acide, pouvait faire se plier une salle en deux. On avait oublié, à cause des esthètes du langage, des pisse-froid de la tournure, qu'on pouvait se moquer, sur un même plan, des cathos, des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des noirs, des chinois, de la gauche, de la droite, des cons, des jeunes, des handicapés, tout ça passés au vitriol des textes de Stéphane Guillon.
Bordel, que c'est bon de rire à gorge déployée, sans avoir sur le dos les censeurs habituels qui nous cisèlent un vocabulaire sans saveur et veulent nous retirer, de notre ADN, ce rire décapant qui fait l'âme de l'humour, hormis l'humour cul-cul la praline et abêtissant. Ce n'est pas trash, ni violent. C'est savoureux parce que tout le monde en prend pour son grade et surtout, Guillon, spectateur aguerri de son époque, sait grossir le trait, forcer la mimique, épuiser son sujet.
Y compris se moquer de lui-même.
Il y avait, samedi soir, dans la salle bondée du Mac-Nab, ce type de rire qui rassemble, mais qui parfois, tique aussi à se déployer parce que, dehors, on ne pourrait pas rire de la même façon que dedans, là, autour de Stéphane Guillon. Alors on se méfie un peu. Mais finalement, ça part, ça exulte, et même si certains éprouvent des réticences à rire de Vincent Humbert, il le faut parce que si personne n'échappe à la mort, aucun sujet ne doit échapper à l'humour.
Parce que la liberté d'expression, même depuis les attentats de Charlie et les manifs qui ont déversé quatre millions de personnes dans les rues, est un leurre. A partir du moment où l'humour doit être sélectif, où des pans entiers de notre société doivent être, d'après les stérilisateurs du langage, à l'abri de l'humour, on ne peut plus rire de tout.
Mais merde, foutez-nous la paix avec vos haussements d'épaules hystériques, vos roulements d'yeux d'intégristes religieux et politiques, vos pincements de lèvres de sainte-nitouche. Gardez-vous de vos contacts urticants et laissez nous blasphémer tranquille sur tous les sujets du monde, les culs-bénits de toutes obédiences, les chapelles politiques, les drames, tous les types d'êtres humains, les grands, les gros, les nains, les maigres et les imbéciles.
Tant que nous pourrons rire dans les salles de la bêtise humaine, incapable du recul nécessaire sur ces tares, ce sera toujours ça de gagner sur la liberté qu'on nous rabote. Maintenant, il faudrait que ces mêmes rires déferlent dans les rues, les journaux, à la télévision, à la radio, qu'on arrête de prendre des gants et qu'on châtre les mots pour en faire des chapons de Noël, parce que des oreilles chastes ne supportent pas nos rires. Qu'ils se les bouchent.
On entend par-ci, par-là, que Coluche ou Desproges ne pourraient plus sortir leurs skecths aujourd'hui. Et c'est bien le problème : tout humour policée est vouée à la mort et une société sans humour libre devient une dictature de la pensée. Alors, le spectacle de Stéphane Guillon, visible à Vierzon, ce samedi soir, fait croire à nouveau aux forces de la désobéissance civile. Putain, ce que c'est bon de rire de cette façon !