Pauvres de nous ! Faut-il, qu'en cette fin de 2015, déjà sévèrement punis en posant nos regards sur les arêtes trop vives de cette ville, nous devions, en plus, nous méfier de tout le monde. Car depuis dimanche, le Vierzonnais s'est décomplexé à une vitesse encore jamais atteinte. Avec le Front national qui colle aux fesses du Front de gauche, enfin au Parti communiste, du moins à ses ruines, nous sommes obligés de regarder dans les coins. Qui nous dit qu'un tel ou untel, sous ses airs familiers, ne soit pas en train de ruminer son coup fumant de dimanche dernier ? C'est vrai que, de toutes les urgences de ce monde, personne ne nous a appris à sentir un facho de près, même de loin. Pas assez de flair.
Mais maintenant, dans les rues de Vierzon, cette ville jadis ouvrière, fière d'elle, de ses usines certes disparues, de son métissage social, cette ville à fleur de politique, où les bistrots pullulaient toutes les deux-trois maisons, cette ville carrefour de toutes les routes et de tous les rails, cette ville-là, aujourd'hui, pue le Front national. Un incident très très facho... Une collision entre l'ordinaire et l'extraordinaire. Vierzon, au tente-sixième dessous. Ce sera compliqué, très compliqué de juguler le Front national aux prochaines municipales. Car nous aurons encore sombré un peu plus, coulé, pas à pic, mais lentement, sûrement. Sans qu'il n'existe, autour de ce qui reste de cette ville, un cordon sanitaire, une sorte de cellule d'urgence destinée à suspendre l'inutile et à concentrer tous les efforts sur l'essentiel.
Comment en-est arrivé là ? Tout bon Vierzonnais doit se poser la question, chacun porte en lui sa propre réponse. Comment, cette ville si fière, si laborieuse, si remplie de paradoxes qui faisaient sa richesse a-t-elle pu se vider de ses élements pour être à ce point fade, baudruche, simple objet électoral. Le Vierzonnais a cédé le pas à l'ogre de la politique politicienne et, rien ne respire plus, à Vierzon, l'ambition, la soif de se relever, l'orgueil vierzonnais. Tout ça a foutu le camp, dans le caniveau. Même au temps des crues, il restait aux Vierzonnais, une fois lessivés, la hargne de reconstruire, de rebâtir, de refaire une route, un chemin, un trottoir. Là, que reste-t-il d'énergie si ce n'est l'énergie d'un désespoir qui ne suffit même plus à cimenter les briques des murs qui tombent.
Les Vierzonnais ont oublié d'où ils viennent, de quel bois ils sont sculptés, de quelles industries ils descendent, de quelle fierté ils sont issus. Cet ADN là, s'est dilué entre les doigts du renoncement, de la passivité. Jamais, les Vierzonnais n'auraient laissé leur ville s'écrouler sans qu'ils n'agissent, à leur façon, pour ouvrir les yeux à ceux qui les ferment pour leur propre besoin de vivre leur mandat, au détriment de l'essentiel : cette ville mérite un milliard de fois mieux que d'être jeté en patûre à une armée de fachos, que d'être si maltraitée par des élus centrés sur leur petit commerce. Merde ! Vierzon ce n'est pas ça, ce n'est pas des rideaux de fer, des rades qui ferment, un centre-ville en sourdine, des rues piétonnes abandonnées, ce n'est pas ça Vierzon, où quelques ombres rasent les murs et où la paupérisation et la pauvreté revendiquée plombent ce qui reste de conscience.
Tout n'est que discours, que mots dilués. Mais où est l'action, bon sang ? Où sont les chantiers ? Où est cette volonté de foncer vers demain ? Où est cette envie d'avancer plutôt que de rester sur place à se lamenter sur les moyens que l'on n'a pas, sans songer à ceux que l'on a pour commencer à faire quelque chose. Vierzon... La seule envie de ceux qui le peuvent c'est de partir. Parce que rien, ici, n'a plus de valeur désormais. Même le prix des maisons s'effondre, même le patrimoine capitule, même la mémoire vive s'enfonce sous terre. Qui sera enfin capable de redonner un espoir, simple et concret aux Vierzonnais qui voient, sous leurs yeux, une guirlande lumineuse dont les ampoules claquent les unes après les autres. Et quand tout sera éteint, on vous demandera encore de voter pour ceux qui n'ont jamais voulu se donner la peine de changer les ampoules grillées. Trop occupés à mesurer la distance qui les sépare de la prochaine élection. Qu'ont-ils fait de cette ville ? Et qu'en feront-ils demain ?