L'hôtel tournait le dos au soleil délavé
Par la pluie, par le vent, par le monde tout entier.
Dans la pâleur du soir, une enseigne criait
Une lumière rouge aux étranges reflets.
Le trottoir avait pris des allures de grand'route
A l'heure fatale où l'homme est seul devant son doute.
Les épaules engourdies dans un long manteau sombre
Je marche entre les gouttes, mes désirs et mon ombre.
Il faut rentrer, je pense, mais en suis-je aussi sûr ?
Les derniers grains de jour se perdent au pied des murs,
J'en ramasse de quoi alourdir ma fortune
Comme des éclats d'or décrochés de la lune.
C’est ma rue. Je la sens. A travers l’air humide,
La nuit s’est installée, les pieds au bord du vide.
Il va falloir pousser la porte de l’immeuble
Et caresser d’un doigt la poussière des meubles.
Je me retrouve enfin au bas de l’escalier.
Quelques marches tenaces sont encore à dompter.
Je m’apprête à tourner la poignée de la porte.
Je renonce à le faire. Que le diable m’emporte !
Ce soir, plus que jamais, le désir est obscur
Retenu quelque part dans sa part d'impossible,
En suspens, sur un fil, entre la lune dure
Et l'angoisse frappante qui t'a pris pour cible.
Ce soir, plus que jamais, tu haïs l'inadmissible
Pour ce qu'il est en toi, présent sans condition,
Lourd, sans gêne et brutal, avec ce vide horrible
Tu n'as plus, pour ton rêve, la douce permission.
Ce soir, plus que jamais, t'as perdu le courage
De dire à tous tes mots qu'ils n'ont plus la lumière
Que tu posais en eux quand tu ouvrais leur cage,
Pour libérer ton corps de sa gangue de fer.
Ce soir, plus que jamais, tu pleures à l'imparfait
Le départ obsédant d'une part de toi même,
Acceptes le départ au retour qu'il connait
Mais tu n'entends plus rien quand on te dit « je t'aime ».
Ce soir, plus que jamais, la douleur est sans fond,
Tu as mal jusqu'à rire de ne plus être humain,
Tu cognes ta conscience aux murs sans solution
Qui se sont levés en travers de ton chemin.
Tu n'as plus la raison que ton esprit mérite,
Tu n'as plus qu'à vomir le hasard dont tu crois
Qu'il détient, à lui seul, les clefs de tes limites,
Tu lui en veux d'avoir le corps entier si froid.
Ce soir, plus que jamais, tu vendrais ton désir
Pour une part de paix, pour un instant de calme,
Pour tenter d'esquisser la courbe d'un sourire
Que noie, sans un remord, une coulée de larmes.
Ce soir, plus que jamais, tu retiens chaque cri
Qui te vient pour qu'enfin, tu puisses respirer,
Mais tu sais depuis toi que l'oxygène a fui
Du sang qui te traverse jusqu'à te transpercer.
Ce soir, plus que jamais, tu écris pour survivre
A ce manque de toi lardé d'incertitudes,
Tu as peur de la peur qui ne cesse de te suivre
Tu as qu'elle devienne une sale habitude.
Ce soir, plus que jamais, tu arraches à tes doutes
Les yeux pour qu'ils ne voient plus jamais ton visage,
Pour qu'un jour, tu l'attends, tu croises encore ta route
Pour reprendre la mer à défaut d'un naufrage.
Ce soir, plus que jamais, tu vas devoir te taire,
Etouffer le sanglot qui te sert de battement,
Si ta vie est ta vie, alors tu dois le faire
Pour que tu puisses aimer, que rien ne soit gênant.
Ce soir, plus que jamais, tu vas tenter de croire
Que les instants d'après tes instants de silence,
Te permettront peut être de perdre la mémoire
Pour effacer enfin le poids de son absence.
Si ce n'est pas le cas, tu feras donc semblant,
Pour que tu aies le temps nécessaire à ta vie
De faire de sa présence un point dans le néant
Une étoile qui brille au fond de l'infini.
J'ai trouvé du ciel gris au fond de mes godasses
Et des copeaux de froid plantés dans mes semelles,
Quel trajet ont-ils pris pour gonfler la mélasse
Qui plombe le plumeau de mes deux larges ailes ?
Dois-je me fier au vent des révoltes verbales ?
Ou planer, bras tendus, au-dessus de l'estuaire
D'où montent, en cris lents, le dégoût infernal
Qu'inspirent vos esprits qui pensent de travers.
Quel pouvoir ont les mots pour briser des rochers,
Pour atteindre le coeur des choses inexplicables,
Pourquoi faut-il encore devoir les supporter
Ces langues de vipère au poison inexpiable.
Je vole, regards éteints, dans les braises qui montent,
J'évite les écueils des insultes qui fusent
Ces feux d'artillerie qui confortent la honte
D'avoir été un homme, un fait que je récuse.
D'où je suis, je le sens, cet âpre phénomène,
Cet halot prétentieux fait de méchanceté,
C'est que l'on se bouscule au pays des phonèmes,
J'ai banni le langage de ma principauté.
Je ne suis plus qu'une ombre au-dessus de vos doutes,
Une légère et tendre et forte obscurité
Qui tombe sur vos pieds et noient toutes vos routes
Pour que vous ne puissiez plus jamais avancer.
Arrêter-vous un peu, tout au bord de vous mêmes,
Ecoutez les relents qui montent de vos gorges,
Stationnez un instant, bandes de phénomènes,
Et soufflez vos mots crus dans le feu de vos forges.
Taisez-vous, s'il vous plait, taisez-vous pour de bon
Puisque, dès que vous êtes, larron en société,
Vous kidnappez l'usage uniforme du son
Qui ne vous sert, en fait, qu'à ne vous insulter.
C'est bon d'être un oiseau dans le ciel épuré
Et de boire, en volant, un sirop inédit.
Je n'entends plus vos mots, cet infâme fumier
Cette litière où trempe toutes vos jalousies.