A la lueur de certains faits, il y aurait tant à dire que finalement on ne dit rien. Il y a tant à faire qu'en fait, on ne fait rien. Jusqu'au prochain fait. Jusqu'à la prochaine goutte qui fait déborder le vase qui ne déborde jamais faute d'une colère suffisante pour augmenter suffisamment le volume de l'indécence. Parce que tout seul, devant sa page de faits divers, on se retrouve comme tout seul sur un trottoir, avec une pancarte "assez". La solitude du lecteur serait facile à corrompre, il suffit d'être deux pour commencer à faire un groupe. Seulement voilà, on tourne la page.
On lit autre chose, ailleurs, plus loin. Et la rengaine revient, lancinante "ailleurs c'est pareil", vous savez cette imparable chanson destinée à se détacher de la gravité d'un fait chez soi pour tenter de la commercialiser dans le rayons justement des faits divers, un fait qui est divers, c'est-à-dire rattaché à rien de précis, un flou artistique pour parler de ce qui n'est pas nommable. Et ce qui n'est pas facilement nommable a-t-il une existence légitime ? Un article politique, par exemple, ça existe, c'est défini, précis. C'est de la politique. Mais un fait divers, c'est par nature un fait noyé dans le divers où l'on trouve tout et tout, ce qui fait la chair du quotidien, la chair du bout de chez soi, de la route qu'on fréquente. C'est tout et rien. C'est surtout rien.
On lit, on s'émeut, on gueule, on froisse ce putain de canard parfois, quand la colère déborde jusqu'au bout de nos doigts, quand le trop plein de lecture doit être chassé loin de nos centres nerveux pour ne pas avoir à sombrer dans cette émotion gênante. Et puis, il y a cette chanson "ailleurs c'est pareil", et son refrain qui colle aux oreilles "ici ce n'est pas pire qu'ailleurs". on se dit finalement, que la chanson a sans doute raison, qu'il est plus sain de se laisser bercer par cette musique-là, pour ne pas avoir à sortir dans la rue, hurler une bonne fois on ne sait trop quels mots mais au moins, ça pourrait faire du bien. Mais dans notre société policée, on ne hurle pas à la lune comme les loups. On passe à un autre fait diver, à un autre article.
On s'appitoie quelques secondes, on tente de raccrocher un visage connu à la personne concernée par les lignes indifférentes. Et on tourne la page. seulement voilà. Le quinquagénaire au visage fracassé place Gabriel-Péri se bat pour se reconstruire un visage. L'octogénaire à la hanche et au poignet fracturés doit maintenant endurer des jours indésirables clouée, sur un lit d'hôpital. Et à l'indifférence crasse qui nous colle des boutons, voilà que se mêle l'impuissance démoniaque. Et ça passe, une fois, deux fois, de nombreuses fois. Et les faits s'entassent, et la violence ne baisse pas sa voile. Et on ne peut rien faire. Tout le monde s'en fout, même ceux qui devraient ne pas s'en foutre s'en foutent éperdument. Pas un mot, pas une ligne, pas une pensée écrite. Que dalle. Mieux vaut tourner la page et ne penser à rien. Bordel, mais dans quel bon sang de cercle vicieux avons-nous mis le doigt ?