Vierzonitude ne partage pas les positions des cheminots grévistes, tant sur certains fonds que sur certaines formes et les cheminots grévistes ne partagent pas les positions de Vierzonitude. C'est un bon début pour discuter. Mais du désaccord doit naître un débat et non une opposition sans issue. Vierzonitude fait entendre la voix des usagers, ceux qui sont harassés par la succession des grèves. Si les cheminots se font entendre, le bloc silencieux des usagers doit pouvoir le faire aussi. Les soutiens aux cheminots aussi lisent quand même ce blog...
Les cheminots reprochent au gouvernement et aux médias d'opposer, sciemment, les uns aux autres. Pas sûr que cette affirmation reflète la réalité mais Vierzonitude a souhaité donner la parole aux cheminots vierzonnais engagés dans le mouvement, par la voix de David Lasnier, le secrétaire général CGT des cheminots de Vierzon qui répond aux questions de Vierzonitude.
1 - Ce sera ce week-end, le sixième épisode de grève, dans quel état d'esprit sont les cheminots et notamment les conducteurs, très mobilisés ?
Les cheminots sont dans un très bon état d’esprit et veulent plus que tout en découdre avec le gouvernement et la direction de la SNCF. D’une part, par la mise en place de la réforme du ferroviaire et d’autre part, l’annonce du gouvernement concernant la filialisation de fret SNCF. Il faut dire également que notre direction met la pression sur les cheminots pour qu’ils reprennent le travail en leur sortant des notes de service qui ne sont pas réglementaires. Ils leur font croire également que, réglementairement, leurs repos leur seront également retenus sur leurs salaires, or cela n’est légalement pas possible car je le rappelle notre mouvement de grève est construit sur la base de 18 préavis distincts et avec différents points à chaque fois.
Les conducteurs sont très mobilisés, à Vierzon, nous avons enregistré jusqu’à 96% de grévistes sur les premières périodes contre 80% actuellement. Nationalement, le taux de grévistes est de 77%, il me semble.
2 - Malgré cette grève inédite, le gouvernement a tout de même fait voter la loi de modernisation de la SNCF. Pour vous, est-ce un échec ou une raison de plus pour rester mobilisés ?
Non, nous ne considérons pas la comme un échec car ce n’est pas la fin du processus législatif puisque le passage au Sénat puis le retour à l’Assemblée nationale devrait s’étendre jusqu’à fin juin. La ministre annonce d’ailleurs que d’autres amendements pourraient être apportés par le gouvernement lors de la discussion au Sénat. Et cela fait une raison de plus pour rester mobilisés et amplifier le mouvement. D’ailleurs, c’est ce que notre gouvernement et les médias tentent de faire croire, que cela est plié alors que non.
3 - Certains usagers ont du mal à croire que vous vous battez pour eux. Que leur répondez-vous ?
Je leur réponds tout simplement que si les conditions de travail des cheminots se dégradent, cela va se ressentir sur le service que nous devons assurer. Nous défendons avant tout un service public de qualité. Et je peux également comprendre le mécontentement des usagers, mais ce n’est pas une généralité car nous recevons également beaucoup de soutiens. Quand le rapport Spinetta préconise la fermeture des petites lignes soit 9.000 kilomètres de ligne voyageur et 3.000 kilomètres de lignes marchandise et que l’Etat dit qu’il ne fermera pas celles-ci alors qu’elle vont être transférées aux Régions (financement et entretien) et qu’elles ne pourront pas l’assurer.
4 - Pourquoi la concurrence vous inquiète tant ?
Elle nous inquiète puisque partout où il y a eu ouverture à la concurrence, il y a eu de grosses réorganisations donc de fait une dégradation de nos conditions de travail. Prenons le Fret en exemple depuis l’ouverture à la concurrence. Il transportait 57,7 milliards de tonnes-kilomètres en 2000 avec une part modale de 17 % des marchandises transportées par une seule entreprise, la SNCF. Il ne transporte plus que 32,6 milliards de tonnes-kilomètres en 2016 avec une part modale de 10 %. Une vingtaine d’entreprises sont désormais présentes sur le territoire. L’ouverture à la concurrence a été mise en œuvre en mars 2006 pour les trafics intérieurs. Depuis 15 ans on compte 1.800.000 camions de plus sur les routes. Pensez-vous vraiment que c’est ainsi que nous allons répondre aux enjeux de la période, à savoir : environnement et limitation des gaz à effet de serre, congestion routière, sécurité routière, santé publique, relance industrielle, aménagement du territoire…..
Et puis il y a également l’exemple de l’Angleterre : le 2 janvier dernier, des milliers de Britanniques ont manifesté dans les gares pour la renationalisation complète du transport ferroviaire. Une première mesure dans ce sens avait été appliquée à l’infrastructure en 2002 et avait permis de régler le problème des accidents. Mais la concurrence pour l’exploitation des lignes avaient été maintenue par l’attribution de concessions. Résultats : retards catastrophiques (4 trains sur 5 en retard), matériel roulant vieillissant. Quant au prix : hausse de 27 % en 7 ans. Les Britanniques déboursent chaque mois 6 fois plus que les français pour se rendre sur leur lieu de travail, cela représente 14% de leur revenu mensuel contre 2 % pour les usagers de l’hexagone.
5 - Le statut du cheminot n'est qu'un élément de la loi, on a pourtant l'impression qu'il cristallise la colère. En quoi la disparition du statut du cheminot vous fâche tant ?
Cela nous cristallise puisque c’est la ligne rouge à ne pas dépasser, le statut du cheminot comme on pourrait l’entendre n’est pas la cause de la dette. C’est juste une garantie pour nous, elle nous garantie une grille de salaire, un déroulement de carrière, le droit syndical, garanties disciplinaires et sanctions, les congés, régime particulier d’assurance maladie, maternité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles. Voila c’est tout ça notre statut.
6 - Les observateurs comparent ce mouvement à celui de 1995. En quoi celui de 2018 lui ressemble-t-il ? En quoi il ne lui ressemble pas ?
Je ne pense pas que cela soit comparable à 1995 même si il y a quelques similitudes. Bon, en 1995, j’avais 15 ans, mais par les dires de nos retraités, à l’époque, le mouvement avait peiné à prendre et s’était amplifié dans le temps. A l’époque, il y avait plus d’effectifs donc plus de cheminots concentrés sur le même bassin d’emploi avec des directions en local. Aujourd’hui, nous sommes beaucoup moins, avec des directions délocalisées. Ces deux mouvements n’ont pas le même contexte, et puis on n’a pas les mêmes coupes de cheveux de l’époque (ça c’était pour la boutade !)
7 - Vous n'aimez pas que certains soulignent vos "privilèges". mais comprenez-vous qu'il y a des fonctionnaires moins vernis et surtout des usagers moins bien lotis ?
Nos privilèges ? A part effectivement nos facilités de circulation qui bénéficient aux cheminots de voyager gratuitement sur le territoire français, je ne le considère pas comme un privilège puisque nous nous en servons plus pour nous rendre sur nos lieux de travail plus que pour notre vie privée. Car vous savez, quand vous avez fait toute une semaine de travail dans ou avec des trains, nous n’avons qu’une envie, c’est de ne pas le prendre pour nos loisirs perso. Et puis ce terme de privilège, il est utilisé pour monter les personnes contre les autres pour créer des tensions. Ces pseudo-privilèges avaient été créés pour attirer le monde à venir travailler à la SNCF, pour, on va dire, faire avaler la pilule plus facilement concernant les jours travaillés pendant les fêtes, les jours fériés, la nuit, le jour , en horaires décalés, etc…..
8 - Que faudrait-il pour que vous arrêtiez ce mouvement sur le champ ?
Qu’ils répondent positivement à nos revendication. Nous avons une plateforme commune CGT-UNSA-CFDT avec plusieurs point comme :
- La dette et son financement
- Relance du transport de fret par le fer
- Statut de l’entreprise
- Organisation de la production
- Ré-internalisation de la charge de travail
- Ouverture à la concurrence
- Droit sociaux des cheminots/garanties sociales
D’ailleurs, je vous invite à lire notre projet CGT remis au premier ministre le 7 mars « Ensemble pour le Fer » (voir le lien ci-dessous).
9 - Que pensez-vous de l'installation d'une entreprise, avec l'aide d'une ville de gauche, qui utilise, pour le fret, une société privée et non la SNCF pour transporter des containers ?
Depuis quelques années, c’est Fret SNCF le prestataire. Au début du marché, c’était Euro Cargo Rail. A l’époque, je me rappelle avoir interpellé ma direction sur ce sujet. Et en regardant de plus près, c’était une volonté de Fret SNCF de ne pas travailler pour ce client. Fret SNCF n’avait pas répondu à l’appel d’offre. Le maire, très étonné, m’avait contacté car il désirait que ce soit Fret SNCF qui assure les prestations. Nous avons donc (la CGT) engagé des démarches internes pour les contraindre à répondre. En effet, ils avaient répondu mais avec un prix très élevé que le client allait bien évidement refuser. A force d’insister, Fret SNCF s’est enfin positionné et remporté le marché. Nous assurons actuellement trois rotations par semaine.
10 - Le premier ministre est attendu dans le Cher et notamment à Vierzon, la semaine prochaine. Lui réserverez-vous un comité d'accueil ?
Vous connaissez bien la CGT, je vous laisse deviner si nous allons l’accueillir ou pas... Qui sait ? Le premier ministre voudra peut être échanger avec les cheminots et n’aura peut être pas peur de venir à notre rencontre. Car je vous le rappelle, contrairement à notre députée en Marche (NDLR : Nadia Essayan) qui, elle a décliné notre invitation à l'une de nos assemblées générales alors qu’elle se permet de dire, dans la presse, que ce sont les cheminots qui ne veulent pas la rencontrer.
11 - Les cheminots perdent de l'argent, certains usagers sans doute aussi, pensez-vous que vous êtes réconciliables ?
Bien sûr, les cheminots grévistes perdent de l’argent contrairement à ce que l’on peut entendre dans certains médias. Et pour être réconciliables, il faut déjà être fâchés et ce n’est pas forcément le cas. D’ailleurs, la cagnotte des artistes en est la preuve, avec plus de 25.000 dons.