Lundi matin à l'heure où les journaux vont boire
Le regard enfiévré de leurs rares lecteurs,
Où des livres sans voix ont le secret espoir
De parler à l'oreille de tout leurs détracteurs,
A l'heure où les cafés versent sur les comptoirs
Le sang sucré du temps qui crève de bonheur,
Où des gorges sans fond ressemblent à des passoires,
Où des langues muettes admettent leurs erreurs,
A l'heure où l'on se dit bonjour, remplis d'espoir
Car le soleil poudroie des soupçons enchanteurs,
Sur ce qui reste encore d'ombre dans l'entonnoir,
Où le feu de midi nous ferait presque peur,
A l'heure où l'insomnie attaque les trottoirs,
Où les rues s'amidonnent d'une étrange moiteur,
Où la porte fermée annule tout pouvoir,
Où les envies d'entrer nous clouent à l'extérieur,
A l'heure où les hebdos sont encore en peignoir,
Où les revues du haut suent d'une folle raideur,
Où tous les quotidiens pleurent sur leur séchoir
Les pages qui les ont plongées dans la maigreur,
A l'heure où le client dans sa fièvre expiatoire
Sniffe sa dose d'actu, un doigt sur l'émetteur,
Où ses envies factices, fragiles et dérisoires
Traduisent son désir d'être surtout ailleurs,
A l'heure où les rideaux s'ouvrent comme une gloire
Sur la ville qui marche en suivant le curseur,
Lundi matin à l'heure où les journaux vont boire
Il fera soif, c'est sûr, une soif supérieure.