Autant le combat des gilets jaunes s'entend et se comprend, en dehors de la violence qu'engendre le mouvement, autant certaines idées défendues et relayées, parfois ad nauseam, par les mêmes, sont paresseuses et stupides. Soit elles découlent d'une ignorance épaisse de notre système démocratique, soit elles émanent d'une provocation grossière, ce qui finalement serait préférable.
A longueur de réseaux sociaux, entre le pire et le meilleur, souvent le pire, on voit fleurir des comparaisons amalgamant les gestes d'un président de la France à ceux d'un dictateur fou furieux à moustache. Comment peut-on oser comparer la France à une "dictature" ? Comment peut-on oser parler de "censure" ? Comment peut-on penser aussi étroitement ? Comment peut-on conclure qu'un désaccord avec une politique, que les réponses apportées par une politique sont mauvaises, relèvent d'un acte de totalitarisme ?
Certains déjà, trop nombreux en tout cas, estiment que la presse en général lèse le mouvement car la presse cacherait au public certaines images favorables au mouvement et, au contraire, en montreraient d'autres, défavorables à la cause des gilets jaunes. Essayer de prouver que ces images favorables sont souvent fabriquées de toutes pièces, qu'elles n'existent pas, qu'elles ne sont que des falsifications, c'est déjà être dans la censure. Beaucoup prennent ce que d'autres leur disent comme argent comptant. Une rumeur devient une vérité et cette vérité devient inoxydable, la contester aussi devient un acte de censure.
Comment appelle-t-on un groupe de pression qui exigerait qu'on écrive uniquement une seule version des choses ? Qu'on ne montre qu'une face des choses ? Une dictature ! Ce que certains reprochent au système actuel, ils le portent en eux, en germes, mais ce qu'ils voient chez les autres comme des actes autoritaires devient chez eux, des preuves de démocratie citoyenne parce qu'ils se pensent, justement, contre un régime violent et totalitaire. Il y a un problème, là.
Vouloir mettre au pas la presse, virer des politiques élus démocratiquement par une partie des électeurs parce que l'autre partie n'est pas content des résultats, vouloir installer un régime sous le joug d'une communauté qui déciderait de tout pour tout le monde, s'appelle aussi une dictature.
Quand on lit qu'il faut organiser un référendum pour destituer le pouvoir en place, alors que ce même pouvoir à été choisi en toute démocratie, il y a de quoi se mordre. On lit aussi que certains estiment que ce vote est illégitime car une partie du peuple seulement a voté et alors, qu'attend l'autre partie pour s'exprimer réellement ? Alors destituer le président, ok, pour mettre qui, et le mettre comment ?
Les gilets jaunes ne peuvent pas et ne doivent pas tomber dans ce genre de clichés qui ne mènent à rien. Les rêveurs d'un nouveau mai 68, d'un soulèvement populaire, d'une révolution française sans Bastille à prendre, ne peuvent pas ignorer le sens des mots "dictature" et "censure", ne serait-ce que par respect pour toutes celles et ceux qui ont eu et qui ont encore à vivre sous des régimes totalitaires. Si nous n'étions pas en démocratie, les gilets jaunes ne pourraient même pas défiler dans les rues et bloquer les giratoires. Ils se disent 1,3 millions ? Les chiffres officiels dix fois moins ? Entre les syndicats et la police, il y a toujours eu des écarts faramineux. Est-ce pour cela que les syndicats parlent de dictature et de censure ? C'est pour cela que la presse a mis un système commun pour compter les manifestants.
Ce n'est pas parce que ce mouvement n'a ni leader politique, ni leader syndical, ni leader charismatique, qu'on peut laisser dire tout et n'importe quoi sous couvert de la colère, même légitime. Une image tronquée, truquée, arrangée, n'est pas une vérité parce qu'elle circule sur les réseaux sociaux. Bien sûr que ce mouvement est compliqué à gérer, mais plus les revendications seront structurées, étayées, plus le discours sera construit, plus la contestation pèsera.
Destituer un président élu à la loyale, même si beaucoup pensent le contraire, n'est pas un projet de société. On ne parle même pas d'un projet à long terme, on a bien compris l'urgence et l'immédiateté des souffrances. Aux leaders autoproclamés, aux lecteurs des réseaux sociaux, de faire la différence entre le réel et la fiction fantasmée. On peut être pour les gilets jaunes, et ne pas cautionner les monceaux d'inepties qui traversent ce mouvement. Et qui le gâtent par manque de clairvoyance.