Nous avons tendu l'oreille. Nous avons épié la moindre parole qui nous parvenait de la scène couverte où les élus avaient pris place. On se serait cru dans la chanson de Brel, "Un soir d'été, et la sous-préfecture fête la sous-préfète." On n'y croyait pas vraiment bien sûr, nous les obscurs, les sans-grade, simples citoyens, passionnés peut-être mais citoyens de base que la scène des importants domine.
On en a entendu des paroles, des mots comme des coups de vent, de petites rafales tapageuses avec du Brel plein la bouche, du Brel qu'on repeint à la sauce de la cérémonie, qu'on ripoline, qu'on distord pour faire entrer dans la logique du moule. On a tout entendu, du Brel par-ci, du Brel par-là, le grand homme, patati, patata, alors qu'une poignée d'années en amont, il était encore honnis, rejeté, ringard, vieillot, moqué...
On a tendu l'oreille, plein d'espoir. On a guetté une virgule de reconnaissance, une parole même codée, un bout de phrase qui aurait dit que... Mais non. Rien. On a même entendu que baptiser cette place Jacques Brel était "une magnifique idée" et que les politiques ont eu raison de l'avoir... Ben voyons. Alors, après le temps de l'inauguration, de la fête populaire, de la fièvre urbanistique, il y a le temps du point sur le i.
Pas un atome de parole sur l'origine du nom de cette place. Car sans la pugnacité d'une poignée de Vierzonnais, il n'y aurait rien eu de Brel dans ce samedi 8 juin. Pas un mot sur les pionniers, en 2006, des cyclotouristes vierzonnais qui rejoignent Vesoul de Vierzon. Le déclic. Pas un mot sur la visite du maire actuel à Vesoul en 2009, avec un passionné de tracteur de Vierzon. Pas un mot sur cette poignée de fous bréliens qui sont allés non seulement à Vesoul, mais aussi à Honfleur.
Pas un mot sur l'hommage rendu à Brel en 2008 et en 2009 par ces mêmes citoyens. Pas un mot eux non plus, même ironiques, qui n'ont pas arrêté depuis treize ans, de sans cesse rappeler à la ville de Vierzon tout ce qu'elle devait à Brel et la place que Brel devait prendre dans cette ville. Pas un mot sur la visite de France Brel en octobre 2017 à Vierzon qui a déclenché, nous en sommes sûrs, la publication d'un article dans la presse locale où l'on apprenait que la ville allait donner à cette place majeure le nom de Jacques Brel.
Pas un mot sur ce docteur en lettres vierzonnais, auteur d'une des plus importantes thèses sur Jacques Brel en France. Pas un mot sur le livre d'un Vierzonnais à propos de la relation de Brel et de Vierzon. Comme au bon vieux temps, on efface ce que l'on ne veut pas voir, on censure même. Paradoxe : on donne la parole à Brel mais on bâillonne ceux qui se sont battus avec toutes les armes possibles pour faire aboutir cette réalité.
Nous aurions juste aimé une poignée de mots pour ces citoyens passionnés et têtus, ce groupe qui a porté ce souhait, pas pour se faire élire un jour, non, juste pour le bien de la ville, parce que, attention gros mot en vue... parce qu'ils l'aiment cette ville. C'est possible d'aimer une ville sans rien attendre en retour que de participer à l'améliorer pour y vivre mieux. Sauf que la récupération a battu son plein : ne pas citer ceux qui ont inspiré l'oeuvre mais s'octroyer les bénéfices de l'oeuvre à ses fins...
Allez. Nous n'en dirons pas plus parce que nous sommes juste heureux que Jacques Brel puisse avoir enfin sa place à Vierzon. Peu importe le chemin. Car rien n'est fini. Une place ne suffit pas. Et puis, nous n'avons toujours pas de musée international du machinisme agricole... On n'a pas encore fini de vous coller aux basques...