Il faisait chaud ce 20 juillet 1995. 36° à 15h30. 37,3° à 17h10. Les poutrelles suaient toute l'eau qui ne tombait pas encore mais qui suintaient de nous comme des averses irrépressibles. L'Usine entière se dilatait sous une improbable saison.
Sa dernière. Le cycle s'était enrayé. Le soleil tapait sur les verrières à coups de poings, coulait en flammes rugueuses le long des murs, se rattrapait aux armatures métalliques, fondait sur les hommes et amplifiait cette impression de dernier été dans une touffeur lourde d'angoisse.
Nous avions peur de ne plus savoir respirer normalement dehors. De ne plus savoir vivre nos vies d'hommes en dehors d'ici. Il y avait si longtemps. Comme si c'était écrit, personne ne devait survivre, à cet incendie volontaire. Il y aura un lendemain. Plus froid. Plus glacial. un froid où la rigidité saisit ce qu'elle touche avec la volonté de tout briser. Dernier été dans l'Usine.
Dans cet immense grille-pain broyeur d'hommes, de vies et de savoir-faire, évaporés comme les dernières flaques de l'averse précédente sous la soif revenue. Tout devait finir avec cet été. Dans un orage, peut-être ou une lente descente dans les enfers du baromètre. Ce qui rendait peut-être cette chaleur supportable, c'était de savoir que non seulement elle ne durerait pas mais que l'an prochain, si le phénomène se reproduisait, seul le vide crépitera sous ses doigts brûlants.
Sans nous. Sans le moindre de nous. Sans le moindre obstacle dans sa course. Directement du plafond au sol. Sans nous écraser. De toute façon, c'est écrit, on ne s'en relèvera pas. Pas cette fois. Ce sera un prochain été caniculaire ? Peu importe. Il n'y aura aucun front, ici, pour suer de sa douleur.
Aucun souffle humain pour déjouer cet attentat étouffant. La chaleur, rien que la chaleur tournant et se retournant dans cette immense poitrine vide et désertée. Une autre douleur nous attend dehors. Il faisait chaud ce 20 juillet 1995. Qui restera sans comparaison possible parce que simplement privé d'un autre été de référence avec nous pur témoins.
J'avais noté ces chiffres dans l'espoir qu'ils soient lus, un jour, par d'autres hommes reprenant le chemin de l'Usine. D'autres que nous parce que nous serons déjà fondus, broyés, dans le mécanisme de l'irréversibilité. Mais on ne sait jamais. Un miracle.