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Vierzonitude

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La légende du gour de l'Yèvre par Alain Leclerc

Publié par vierzonitude sur 1 Août 2023, 05:10am

Alain Leclerc, archiviste de Vierzon et grand érudit de l'histoire de la ville, publie, en dehors des vacances estivales, une archive chaque vendredi. Ces articles sont publiés sur le site de la ville de Vierzon. Voici ses récits toujours passionnants.

La légende du gour de l'Yèvre par Alain Leclerc

Spécificité vierzonnaise que ce mot de gour employé dans cette acception. Dans les pays d'Auvergne c'est un puits consécutif d'une explosion volcanique ; dans notre cité il s'agit d'un trou d'eau de grande profondeur dans le lit de l'Yèvre.

Nos deux rivières, Yèvre et Cher, ont chacune un comportement hydrographique particulier. Au quaternaire le Cher a connu plusieurs changements de son cours dans notre commune, dues aux crues lors de la fonte des neiges des montagnes auvergnates et bourbonnaises. Aujourd'hui le Cher s'est stabilisé, son lit s'est creusé. Les crues ne sont plus aussi spectaculaires que lors des millénaires passés. Mais n'oublions pas qu'elles ont contribué à rendre la plaine du Vieux Domaine fertile et ainsi favorisé l'implantation humaine.

Quant à l'Yèvre, son lit n'a que peu évolué. Il s'est au contraire creusé au fil des millénaires et certains endroits de son lit ont donc formé ces gours, véritables trous d'eau dangereux pour le baigneur. Dans un petit ouvrage sur l'histoire de Vierzon écrit en 1835, Lemaître en parlait encore comme de « la rivière des gouffres ».
 
Saint Sulpice
Nos ancêtres gallo-romains panthéistes ne s'y sont pas trompé qui ont vu dans ces gours un phénomène terrifiant. De terrifiant à maléfique il n'y a qu'un pas, allègrement franchi par les chrétiens du Ve siècle si l'on en croit l'hagiographie de saint Sulpice par Mabillon, en 1670. Sulpice est né à Vatan et est monté sur le trône de l'archevêché de Bourges en 627. Selon Mabillon sa vie est jalonnée de miracles. Dont un à Vierzon.

Dans le Gour de l'Yèvre (du côté de la Porte de la Rivière, séparation entre les rues Armand Brunet et Jules Louis Breton), la profondeur était insondable. Et les démons y étaient établis en permanence. Malheur au pêcheur qui s'y aventurait, il se trouvait entraîné par eux et disparaissait corps et biens dans les eaux. Ayant bruit de la chose, l'évêque se rendit au bord du gouffre, fit mélanger de l'eau du gour avec de l'huile sainte et jeta le mélange dans le gour en disant : « Tel le prophète j'ai apaisé ces eaux et il n'y aura plus ni mort ni maléfice. »

Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Le diable quitta les eaux de l'Yèvre et les pêcheurs peuvent jeter leur ligne sans être inquiétés par les anges déchus.
 
Perlas
Cette légende n'est pas la seule qui entoure le gour de l'Yèvre. Lemaître, ancien soldat de Napoléon, érudit, botaniste, ajoute un supplément manuscrit à son Histoire de Vierzon, en 1836. Il y transcrit une légende qu'une « bonne femme du quartier des ponts » racontait encore dans les années 1780. Auprès de ce gour, les jours de la fête Marie, on entendait sonner les cloches.

Ce n'était pas celles de l'église Notre Dame voisine mais le son venait bien du gour lui-même. Les eaux bouillonnaient et les poissons traçaient une croix dans leur course. Perlas, bon nageur, eut la curiosité de voir d'où provenait ce son de cloches. Plongeant profondément, il vit une vaste église. S'approchant du clocher il découvrit de nombreuses cloches. Il remonta sur le bord de l'Yèvre avec la plus petite d'entre elles entre les mains.

Ayant repris son souffle, il redescendit et poussa les portes de l'église. Il découvrit une lumière magnifique qui émanaient de lampes d'argent suspendues à la voûte ainsi qu'un vaste autel richement décoré. Il commençait à ramasser pour lui les objets précieux lorsqu'il fut pris de terreur : Une statue de la Bonne Dame le regardait !

Il lâcha tous les objets de culte de ses mains et entreprit plutôt de remonter la statue de la Vierge qui serait mieux dans l'église paroissiale qu'au fond du gour. Une voix sortant de l'église le prévint alors de ne jamais redescendre ou il ne s'en retournerait jamais plus. Perlas se le tint pour dit.

Il plaça la statue de la Vierge dans l'église paroissiale. Mais le lendemain elle n'y était plus. Était elle retournée au fond du gour ? On la retrouva à vingt-six pas du perron de l'église, le long du mur du cimetière. Perlas la replaça dans l'église mais elle fut à nouveau retrouvée le lendemain au même endroit, sur le mur du cimetière. Alors on bâtit une petite chapelle pour la statue, le long du mur du cimetière. La chapelle et la statue de la Vierge étaient encore visibles à cet endroit lorsque la « bonne femme du quartier des ponts » racontait son histoire.

Depuis ces temps légendaires, de gours il n'en reste plus. Les multiples travaux urbains les ont comblés ; les travaux du canal et du chemin de fer ont achevé le travail. Quant au cimetière médiéval entourant l'église paroissiale, il a depuis longtemps été abandonné. La loi sur les concessions au cimetière date de Napoléon. Devenu trop petit, on construisit alors le cimetière central.

Nous sommes dans les années 1810 et la statue de la Vierge n'a pas fait le déplacement. Peut-être est-elle retournée au fond de l'Yèvre...

On peut lire :
Lemaître, Histoire de Vierzon supplément manuscrit, 1835-36
 
Images : Archives départementales du Cher, H337 Archives municipales Vierzon

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