Ceux qui sont assis par terre, en bas de la rue de la République, ne le savent pas encore vraiment : mais Vierzon vient de basculer. C'est un jour de mars 1994, le 29 précisément. Les derniers salariés de Case vient d'apprendre l'impensable : la fermeture de l'Usine, cette citadelle, en plein centre-ville, qui bat comme un cœur depuis près de deux siècles.
Ce n'est pas la fin du début mais bien le début de la fin, la mente mais inexorable chute industrielle de Vierzon se cristallise dans la disparition de ce symbole. Avant, il y en avait eu tant d'autres, mais Case, on se disait que c'était impossible, les passerelles au-dessus de la rue Maxime-Gorki, l'ombre de l'Usine sur la ville...
Pourtant, c'était bien vrai. Cette fermeture allait entraîner un changement radicale de la ville, tant dans l'esprit que dans la lettre. Spontanément, élus, salariés, vierzonnais, descendent dans la rue. La force de la photo, presque trente ans plus tard, révèle que le destin n'appartient pas toujours à ceux qui votent, ou à ceux qui gèrent une ville, mais surtout à ceux qui possèdent les outils de production. Et celui de Vierzon allait disparaître.
Ce qui allait suivre n'était qu'une lutte criblée de désespoir, une tentative de retarder l'inacceptable. Et pourtant. Vingt-neuf ans après, la cicatrice est vive, la Case a disparu du langage, on parle de la Société-Française, mais le traumatisme est tel, que le déni restait la meilleure solution. Trois décennies après, les mêmes élus qui, à l'époque, retenaient de toute leur force l'entreprise, ont tenté de vendre son patrimoine (la maison de Célestin Gérard).
Que reste-t-il de ce trou béant ? Rien qui ne puisse éclairer notre époque. Le patrimoine encore debout qui rappelle l'existence, par procuration, de la Case, est l'objet non pas d'un désintérêt, mais d'une faute inexcusable du présent sur le passé. Case faisait Vierzon mais son héritage, jugent les élus actuels, desservirait cette ville au point qu'il est impératif d'en effacer l'existence. C'est pourquoi les tracteurs restent cachés à l'abri des regards.