Chers gens, d'ici, de là, de partout, gens que je croise dans la rue, ou sur les quais qui n'ont pas vu mes yeux gonflés d'iris curieux. Gens qui me donnez l'envie de venir vous saluer, vous parler, et vous dire qu'au-delà de vos mots, il y a une histoire collée sur votre front, enfouie dans vos regards, qui encombre vos rides, qui pioche dans les artères de vos cœurs élégants.
Chers gens, je vous regarde, ça peut paraître étrange d'être fixé ainsi, mais je tente de lire, le livre de votre âme, vos lèvres aux sons muets, les mots de vos non-dits, le large de vos sourires.
Chers gens, dans vos manteaux, dans vos blindages, dans vos bunkers, il y a toujours à l'air libre le sentiment attirant que vous êtes pourtant à découvert, à crédit, la peau nue malgré les couches de vos rêves successifs. Je ne peux pas faire autrement que d'entamer un sourire, comme un calumet de la paix, juste pour hisser le drapeau blanc au-dessus d'un monde violent. Je sens couler la pluie chaude de vos barrages, comme ils fondent au soleil d'une simple gentillesse, et vos mains dans les poches que vous mettez sur la table, comme s'il s'agissait de vos uniques bagages pour voyager si loin.
Chers gens, je me permets d'aimer avant l'heure fatidique, pour prendre un peu de temps sur le temps qui nous permet d'être en avance sur l'horaire, c'est pour ça que je m'approche de vos ombres complexes et que j'essaie d'en démêler les fils.
Chers gens, je me permets de suivre le parcours du hasard et jusque là, jamais, je ne me suis heurté aux ennuis habituels, aux creux qui nous menacent, au vide qui nous avale. Nous avons toujours eu quelque chose à nous dire, quelque chose à donner, quelque chose à sceller dans l'air qui nous rattache.
Chers gens, je vous remercie tant du ciel que vous mettez, dans l'espace exigu que nous laisse ce monde, de ces regards que vous portez comme une fierté, de cette humilité en carapace et surtout, pour la fin, car il faut bien partir, de cette bienveillance qui sans aucun calcul, gradue avec puissance le noir et le blanc de vos portraits.
R.B.