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Vierzonitude

Le blog que personne ne lit... mais dont tout le monde parle


Quelque chose de compact occupe la salle d’audience

Publié par vierzonitude sur 12 Octobre 2025, 15:57pm

Quelque chose de compact occupe la salle d’audience

Quelque chose de compact occupe la salle d’audience encore vide, sa transparence silencieuse, les sièges inoccupés, l’ordre des places de chacun, le poids des verdicts précédents. Dans quelques minutes, un bruissement envahira l’espace, la justice des êtres humains sera rendue, dans l’oralité qui caractérise une cour d’assises. 
Le box vitré aux micros trop courts est encore désert, ici entrera l’accusé, comme on entre dans une arène mais sans cris, sans applaudissements, dans la dignité feutrée des robes noires et rouges des magistrats et des avocats. 
Ici, la parole des accusés et des témoins est une vertu, un chemin qui peut mener à la vérité ou la laisser sur le bord de la route. La voix est tellement maîtrisée que parfois elle ne porte pas assez car les mots qui se déplient sur son ruban sont aussi durs à prononcer qu’ils le sont à entendre. Contrairement aux avocats, porte-voix des intérêts de ceux qu’ils représentent et défendent.
Je m’installe toujours près du mur et de la fenêtre, derrière la banquette en arc de cercle, le côté réservé à la partie civile. D’ici, je vois l’entièreté de la salle d’audience, le mécanisme de cette immense machine de chair et d’os, de mots, de verbes, d’hésitation, de beaucoup de mots et de verbes et d’hésitation, de questions et de réponses, de colère, de larmes, la barre est la frontière, au-delà, il y a un autre monde, sur son estrade, le monde de ceux qu jugent.
L’attention est tendue comme une corde de guitare, et je sais déjà que chaque moment sera crucial, différent des autres et primordial. Je pose mon sac, je l’ouvre, je pose l’ordinateur sur la petite table en arc de cercle aussi, à partir de cet instant, je suis dans mon rôle, un de plus dans cette salle qui compte un procureur, les jurés, trois magistrats, le greffier, l’huissier, l’accusé, les avocats, les victimes, le public, la police. 
Un écosystème dans lequel je m’insère, peut-on parler de plaisir à ce stade ? Peut-on évoquer ce mot quand un meurtre sera au cœur des débats, est-ce le vocabulaire approprié ? Certainement pas, la passion peut-être pour les entrailles de l’esprit, pour la profonde noirceur des auteurs de crimes dans laquelle subsiste quelque part un éclat brillant, pour l’attente que la vérité émerge à tout moment, y compris dans les dernières secondes suspendues aux derniers mots de l’accusé.
Ce n’est pas du voyeurisme non plus, une fenêtre ouverte sur la crudité des âmes, quand un être humain attente à la vie d’un autre, pour des raisons qui lui sont propres mais qui devront devenir publiques. 
La cour d’assises est une mise à nu des existences, un dépouillement du temps et de l’espace, une exposition à cœur ouvert, un écartèlement des détails du passé de l’accusé, jusqu’à entrer dans son crâne, dans ses travers, dans ses habitudes, jusqu’à décortiquer sa psychologie, fouiller ses cavernes mentales, comprendre l’acte pour le juger, jusque dans ses moindres poussières, ses moindres invisibilités dans lesquelles se cachent, parfois, toute la lumière nécessaire à éclairer l’acte.
Je vais être au cœur des choses, dans la respiration des faits, dans l’haleine des questions, dans la salive des réponses. Être au centre d’un procès d’assises, c’est ouvrir la porte d’une maison et d’en visiter les pièces, regarder dans les tiroirs, décoller le papier-peint pour découvrir la nudité bavarde des murs, c’est prendre possession du moindre gramme des mots prononcés. 
C’est voir mûrir cette micro-société réunie dans un laps de temps très concentré, sentir le poids de la charge pour qu’au bout de ces longues heures de débat, émerge un verdict, pas forcément le juste verdict car on demande aux jurés leur intime conviction, c’est-à-dire leur propre architecture bâtie avec les matériaux qu’ils ont à leur disposition.
Je vais écrire, écrire pour épuiser tout ce que j’entends, ce que je vois, ce que je ressens, écrire au plus près de ce que j’ai devant les yeux, au plus près des silences bavards, au plus près des angoisses, des soupirs, des agacements, des mensonges, des non-dits, des révoltes. Car tout n’éclate pas au grand jour d’une cour d’assises mais tout concourt à cela. N’oublions pas que tout est une question d’être humain, donc une enveloppe d’incertitudes.


R.B.

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