Régulièrement, Vierzon revient dans des récits à propos de la ligne de démarcation. Régulièrement, la ville est citée dans des témoignages qui expliquent comment certains ont pu franchir la ligne et passer en zone libre.
La ligne. Suffisamment prégnante pour qu'à l'endroit de son passage, un panneau indique encore ceci : “Souviens toi, ici passait la ligne de démarcation”. Le panneau interpelle, entre un café et un distributeur automatique de billets. Drôle d'endroit pour instaurer une frontière dont le souvenir n'a jamais quitté la mémoire collective vierzonnaise.
De juin 1940 à mars 1943, cette frontière entre zone libre et zone occupée plante un poste frontière, à Vierzon-Bourgneuf avec, pour séparation naturelle, le Cher. Dans les années 1930, Régor, le dessinateur du journal satirique Le cocorico vierzonnais, ardent militant de la fusion des quatre communes indépendantes en une seule, publie un dessin prémonitoire : une douane marquant l'entrée du territoire indépendant de Vierzon-Bourgneuf.
Le 25 juin 1940, l'Armistice avec l'Allemagne prévoit en effet l'occupation de l'armée allemande de toute la moitié nord de la France. L'autre moitié forme la zone libre. Au centre, la ligne de démarcation, objet d'un rêve commun, “fuir la servitude”, comme on peut le lire sur une stèle commémorative, près du Cher, à Bourgneuf, érigée le 7 mai 1997, à l'initiative de la ville et des associations patriotiques. Un hommage rendu surtout aux passeurs de l'ombre qui, à pied ou en barque, ont aidé celles et ceux qui le voulaient, à respirer en zone libre. La ligne de démarcation s'étend sur 1.200 kilomètres. Elle part de la frontière espagnole, passe par Mont-de-Marsan, Libourne, Confolens et Loches. Elle passe par le nord du département de l'Indre et traverse Vierzon, Saint-Amand Montrond, Moulins, Charolles et Dole. Court ensuite à la frontière suisse.
Le corbillard de Vierzon
Vierzon est tailladée en deux. La zone libre prend ses quartiers au sud du lit du Cher. Rue André Hénaut, un poste-frontière exige, pour son franchissement un “ausweiss” (laissez-passer) délivré par la Kommandantur. La ligne de démarcation impose évidemment des situations dramatiques. Les passeurs s'organisent. Toujours dans la clandestinité. A Vierzon, de jeunes hommes passent la ligne en vélo sans savoir qu'à l'intérieur de leur pompe, se cache un message... D'autres ont très vite compris que le café, à Bourgneuf, (aujourd'hui, un fleuriste) est dans une situation ambigüe : il est en zone occupée mais pas la cour, derrière, en zone libre... Dès lors, tout est bon pour passer la ligne, à la barbe de l'occupant. Mais pas toujours avec un denouement heureux. Noyades, fusillades, chiens aux trousses...
Le centre de Vierzon est en zone occupée, le sud de la ville, en zone libre. Le cimetière aussi, mais l'église non. “Les convois funèbres devaient donc franchir à deux reprises, la ligne de démarcation. On ne vit jamais autant de monde suivre dévotement la famille” lit-on de la plume d'Adrien Fontaine, architecte à la ville de Vierzon, membre de la défense passive et d'un réseau de renseignement.
La combine fonctionne trois mois avant d'éveiller les soupçons de l'Occupant. Les défilés, au retour, sont beaucoup moins fournis qu'à l'aller... Le corbillard de Vierzon devient alors un épisode couru de l'histoire de la ligne de démarcation. On se passe le tuyau partout en France, jusqu'en Hollande. Des prisonniers de guerre évadés qui ont bénéficié de cette astuce sont les meilleurs porteurs de la nouvelle. Très vite, le presbytère reçoit des personnes dont la question est simple :”n'allez-vous pas faire des jours-ci un enterrement à Bourgneuf ?”...
D'autres stratagèmes permettent de passer de l'autre côté, notamment pendant la reconstruction du pont du Cher. Les travaux sont l'occasion de mettre au point un stratagème pour, là encore, faciliter les passages d'une zone à une autre, sous l'oeil des Allemands. La ligne de démarcation s'inscrit dans le quotidien. Vierzon est une destination qui court sur de nombreuses lèvres. Au début de 1941, seuls quatre points de passage sont prévus : Langon en Gironde; Vierzon dans le Cher; Moulins dans l'Allier et Chaon-sur-Saöne en Saöne et Loire.
Destin étrange que celui de Vierzon; la ville sort à peine d'une fusion de ces quatre communes indépendantes en 1937 pour replonger, trois ans plus tard, dans les affres d'une frontière, beaucoup plus meurtrière que les frontières administratives des communes séparées. La ligne se dilue en mars 1943. Mais elle laisse un goût profond. Et le nom de Vierzon apparaît dans les témoignages nombreux des passeurs, (à pied ou en barques) et de celles et ceux qui, de Vierzon, ont foulé la terre de la zone libre. En 1980, François Truffault tourne le Dernier métro avec Catherine Deneuve et Gérard Depardieu. Le directeur du théâtre, le mari de Catherine Deneuve dans le film, explique devoir passer en zone libre à Vierzon...
Le 11 novembre 1948, la Croix de Guerre est attribuée à la ville de Vierzon, subissant treize bombardements, en juin 1940 et une série d'autres, en 1944, en juin, juillet et août. Des bombardements au cours desquels 74 personnes sont mortes, 188 blessées et un millier d'immeubles détruits. Deux cents Vierzonnais furent déportés ou internés, 126 sont morts, à cela s'ajoutent 800 déportés du travail, 80 otages fusillés et 105 soldats tués pendant les différentes campagnes.